“Je peins des sujets de peinture.”
Ronan Barrot, mon premier coup d’œil à l’exposition qui lui est consacrée au Centre d’Art Contemporain Fernet Branca, a été désastreux. D’une salle, l’autre des toiles immenses, des couleurs, sombres, parsemées de bleu, de rouge, des crânes. J’ai fait rapidement le tour de peur d’être happée par un pessimisme évident. Les gardiens interloqués me voyant ressortir aussi rapidement, me disent : vous n’êtes pas la première à être choquée par ces peintures.
Moi : est-il suicidaire ? Et bien non, car lors d’une des soirées consacrées au 10 ans du pass-musées, j’ai suivi la visite guidée, animée par Gusty Vonville, passionné par l’œuvre de cet artiste. C’est là que j’apprends que Ronan Barrot est plutôt bon vivant (je cite GV), passionnée d’histoire de l’art, effectivement dans ses peintures on retrouve des références à Goya, la grille, à Manet les déjeuners, à Courbet par la magnificence des ocres, à Rembrandt et Soutine – le bœuf écorché par l’émotion et la douleur dégagées, Cezanne pour les portraits et paysages, les références sont multiples. Ronan Barrot peint avec frénésie, la douleur, la guerre, la mort, avec lui c’est “crimes et châtiments” dans l’exubérance des pigments et de la matière.
Pourquoi tous ces crânes dans la plupart de ses compositions ? Une manière de nous ramener à la préhistoire ai-je lu dans la catalogue, gracieusement offert par Fernet Branca, ou vanité et memento mori.
On ne peut rester insensible devant « l’outrage » (Guantanamo), un homme vêtu de rouge les deux mains liées, entre deux poteaux, qui si l’on y regardent de plus près forment une croix dans le haut, les barbelés, n’étant plus que des volutes sur ses jambes, la tête inclinée sur la poitrine, tel un pendu, deux hommes de part et d’autres, une crucifixion avec les 2 centurions,
Un ciel de fin du monde, tout y est.
A ma question : Comment Ronan Barrot est-il perçu dans le monde de l’art contemporain, en tant que peintre figuratif, alors que l’air du temps veut qu’après l’holocauste on ne peint plus d’images d’où le passage à l’abstrait ? Auguste Vonville évoque cette histoire :
Onze ans auparavant, en 1998, une conversation de Denis Monfleur avec Yves Michaud, alors directeur de l’Ecole nationale supérieure des beaux-arts de Paris, tourne court.
“ Nous parlons de l’exposition consacrée aux diplômés de l’école, avec félicitations du jury. Je lui dis toute mon admiration pour les oeuvres d’un jeune peintre, Ronan Barrot, et lui ne cesse de vanter les qualités d’un autre artiste, François Durif, obsédé par les dessins chirurgicaux et offrant aux visiteurs des chapeaux en papier qu’il fabrique sur place car il s’est installé une chambre dans la salle d’exposition et ne quitte plus le lit. Barrot, lui, se contente de peindre : des crânes, des joueurs de foot, un autoportrait. J’épelle : Ro-nan Bar-rot, mais le directeur-philosophe, malgré toute sa bonne volonté, ne voit pas de qui je lui parle.”
Les deux témoignages ne coïncident pas tout à fait. Barrot affirme que le jury de l’Ecole des beaux-arts détestait ses tableaux, qu’il s’apprêtait à lui refuser son diplôme de fin d’études ou, au mieux, à le lui donner sans félicitations, lorsque, tel Zorro arrivant sur son fier destrier,” l’un des membres du jury, le peintre Yan Pei-Ming, sauva la situation en déclarant qu’il voulait lui acheter une des oeuvres - ce qui impressionna ses compères et les incita à se ranger à son avis. Plus mesuré, Yan Pei-Ming prétend que les autres jurés n’étaient pas hostiles à l’oeuvre du jeune peintre et qu’il n’eut aucun mal à les convaincre de le féliciter. » Selon que l’on aime ou pas le romanesque, on choisira l’une ou l’autre version.
Autre toile avec une dédicace au dos « à Julien Coupat » dans
Il faudrait parler de « la main, la rencontre, les portraits, le Carré, le Cheval, Même les chiens ont faim etc…” Une exposition à voir jusqu’au 16 août.
photos de l’auteur