Chronique parue sur Kinok
Après l’océan est un film franco-ivoirien d’Eliane de Latour qui raconte l’histoire de Shad et Otho, deux amis d’Abidjan qui ont voulu s’aventurer en Europe. L’un, Otho, est ramené à la frontière après une descente de police, l’autre, Shad, parvient à s’en tirer et continue l’aventure, à Londres et à Paris.
Le premier mérite de ce film est de ne pas être sur les immigrés en général. Ce n’est pas un film sur l’exil, ou l’errance. Pas de célébration larmoyante des destins apatrides, pas de gros plans sur des visages venus de partout et de nulle part. Non, il y a très précisément deux lieux, dans Après l’océan : Abidjan d’un côté (de l’océan), l’Europe de l’autre. Comme le point de vue est essentiellement celui d’Africains, il n’y pas cette analyse occidentale de choses. Pas de « question de l’immigration » - ni pour la rejeter, ni pour la célébrer.
Et cette perspective ivoirienne ne se donne pas non plus pour neuve. L’une des choses sympathiques, dans le film d’Eliane de Latour, est en effet cette façon d’inscrire le départ pour l’Europe dans une mythologie africaine. C’est le guerrier qui part chasser en-dehors du village, pour rapporter ensuite à la communauté le savoir glané dans l’aventure, ainsi que de quoi vivre et manger. Partant en Europe ils restent, ou ils voudraient rester, dans une culture et dans une tradition qui leur sont propres. Ceci – cette idée de point de vue – est assez bien construit par la mise en scène. Par exemple les moments où l’on suit Shad, tantôt émerveillé, tantôt dégouté par ce qui lui arrive en Europe, mais toujours dans une atmosphère d’aventure guerrière, épique. À cette vision des choses vient se mélanger le mirage d’une Europe d’abondance et de réussite. L’échec relatif des aventures de Shad et Otho vient du décalage entre ces deux imaginaires, celui de l’aventure épique et de la réussite moderne.
Et d’ailleurs, le problème du film vient aussi de là. Une fois cette idée de base développée, cette tension installée, Après l’Océan manque cruellement du souffle épique revendiqué. Les complications sont assez peu intéressantes, le pire étant la rencontre avec Tango, jeune Française en rupture avec sa famille (son père est l’éternel papa beauf Kad Merad), jouée par Marie-Josée Croze. Lesbienne pour les besoins de la cause (il ne faut pas qu’elle tombe amoureuse de Shad, puisqu’il est promis à la petite sœur d’Otho), elle connaît une histoire d’amour avec une jeune femme, nostalgique, du coup, de ses origines africaines. Dans le même temps, Tango a des problèmes avec un frère aussi roux que jaloux, qui a un sérieux souci quant à sa relation à sa (trop) chère sœur. Franchement, tout ceci, on s’en serait bien passé. Et les micro-ralentis vaguement esthétisants ne parviennent pas le moins du monde à intensifier ces situations grotesques.
Il y a enfin une question de langue et de langage dans Après l’océan. C’est d’abord un Français très singulier qui est utilisé, avec des expressions souvent amusantes, une forme de gouaille. Mais le problème est que nos personnages semblent toujours un peu dépassés par la langue qu’ils utilisent. Les dialogues restent des dialogues et, honnêtement, les jeux d’acteur sont assez pauvres. Le Français et l’Anglais – auquel a souvent recours Shad – résonnent comme chanson européenne. D’ailleurs l’Anglais donne l’impression de mieux faire rêver. Avec la question de la langue c’est l’identité qui est en jeu. Et l’obsession d’Otho pour l’identité culturelle, l’authenticité (des tissus, des vêtements, des aventures), a paradoxalement un côté occidental, voire touristique, assez ridicule.
En somme voici de plutôt bonnes idées, mais qu’Eliane de Latour ne parvient jamais à déployer aussi bien qu’elle les a lancées. Tout le problème est là, justement : les idées ne suffisent pas à faire un film.