S’il y a bien une activité qui ne connaît pas la crise, c’est la création de clubs et autres think tanks par les hiérarques du Parti socialiste. De défaite électorale en ambition présidentielle, chacun ou presque ne voit plus son salut que dans la création de sa propre boutique – on n’ose dire de sa marque. Au rythme actuel, il y aura bientôt plus de cercles et de groupes de réflexion… que de militants socialistes. Derniers en date à s’établir à leur compte : François Hollande et Manuel Valls. Le premier en lançant « Répondre à gauche » au goût de feu la gauche plurielle (Robert Hue était là !) ; le second en mettant sur les rails son club « A gauche, besoin d’optimisme ! » qui devra porter la bonne parole souvent provocatrice de son désormais « présidentiable » de chef.
Car, au fond, c’est bien de cela qu’il s’agit. Toutes ces construction éphémères n’ont qu’un seul et unique but : permettre à leur créateur de s’inscrire dans le paysage de la présidentielle de 2012. Visibilité médiatique, soutiens (plus ou moins nombreux), moyens financiers (même modestes) et, last but not least, traque d’idées nouvelles, voilà les raisons d’une telle frénésie.
La liste des officines « présidentielles » socialistes donne le tournis. Ségolène Royal, qui a déjà connu l’épreuve du feu, a pérennisé « Désirs d’avenir » créé en 2006 pour lancer et soutenir sa candidature présidentielle. Laurent Fabius a installé « Reconstruire à gauche », énième version d’une habitude ancienne (depuis les années 1980) chez lui de disposer d’une structure abritant à la fois ses ambitions et son courant au PS. Les partisans de Dominique Strauss-Kahn, divisés depuis le Congrès de Reims, se retrouvent soit derrière Jean-Christophe Cambadélis, dans ce qui fait désormais figure de canal historique, « Socialisme et Démocratie », soit derrière Pierre Moscovici, créateur de « Besoin de gauche » dont le site internet insiste beaucoup sur l’aspect « réseau social ». Vincent Peillon a capté l’essentiel du courant « ségoléniste » de Reims dans « L’espoir à gauche » tout en essayant de collecter quelques ressources avec son Institut Edgar-Quinet destiné à la « formation des élus locaux » (sic). Arnaud Montebourg est à la tête de « Rénover maintenant » qui fait figure de vieux machin puisqu’il a déjà quelques années d’existence et surtout ne comporte pas le mot « gauche » dans son titre. Benoît Hamon, bien que porte-parole du parti, est toujours le chef, mi gourou mi lider maximo de son mouvement « Nouvelle gauche », doublé depuis quelques années de l’indispensable think tank, subtilement baptisé « La Forge » pour tenter de redonner des couleurs ouvriéristes aux anciens apparatchiks des mouvements de jeunesse du parti. Bertrand Delanoë continue de son côté de faire vivre son courant « Clarté, courage, créativité », pourtant malmené depuis le Congrès de Reims, … au cas où.
Bref, un peu comme si, en politique, mieux valait un petit chez soi qu’un grand chez les autres.
La justification d’une telle scissiparité de la part des intéressés est toujours la même : les idées. On réfléchirait mieux entre soi qu’entre socialistes… au parti. Pourtant, à Solferino aussi on s’active. Ainsi, depuis Reims, un « Laboratoire d’idées » (immédiatement réduit en « Lab », pour être in sans doute) a-t-il été créé par Martine Aubry, et aussitôt confié, bien évidemment, à deux énarques blanchis sous le harnais du socialisme ministériel (Christian Paul et Lucile Schmid) afin que tout le monde comprenne bien que l’imagination était, enfin, de retour au pouvoir au PS.
Pour tous ces apprentis candidats, il faut non seulement réfléchir à l’abri de la machinerie centrale mais encore réfléchir… « à gauche ». D’où le résultat convergent des intenses efforts de brainstorming pour trouver un nom à toutes ces ruches socialistes. Bon, certes, on imaginerait mal un des hiérarques de la vieille maison intituler son club : « demain à droite » – encore qu’en leur temps un Eric Besson ou un Jean-Marie Bockel auraient pu y penser – mais la surenchère sur le thème de « plus-de-gauche-dans-le-nom-de-ton-club-tu-meurs » va finir par lasser même les plus indulgents des observateurs.
Une telle indigence laisse surtout voir ce pour quoi tout cela est fait : préparer la candidature à la candidature des uns et des autres. Surtout dès lors que des primaires ouvertes se profilent à l’horizon pour désigner le futur adversaire de Nicolas Sarkozy en 2012. Pourquoi en effet, s’il ne s’agissait que de réfléchir à l’avenir de la gauche, ne pas le faire tous ensemble, dans un cadre moins sclérosé que la rue de Solferino certes, à la Fondation Jaurès par exemple ou à Terra Nova, les deux seuls « vrais » think tanks socialistes aujourd’hui – ce qui s’en rapproche le plus du moins ? Et même, horresco referens, pourquoi ne pas tenter de (re)faire du parti un outil intellectuel collectif ?
En politique, l’ambition collective est rarement la somme des ambitions individuelles. Elle les dépasse nécessairement si l’on souhaite réussir. La condition incontournable du succès, dans un système tout entier organisé autour de l’élection présidentielle, est de se donner les moyens, collectifs eux aussi, de mettre en avant celui ou celle qui saura le mieux à la fois incarner le collectif et mettre son talent – et pourquoi pas ses idées… – à son service. C’est précisément comme cela que François Mitterrand et Barack Obama, à deux époques et dans des genres très différents, ont gagné. Who’s next ?
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