Mlle Jeanne Chauvin vient d'être admise à son tour à prêter serment professionnel des avocats devant la 1er Chambre de la Cour de Paris. La nouvelle "avocate" n'arrive que seconde, quinze jours après son ou sa confrère, Mme Petit ; néanmoins une incontestable priorité lui demeure acquise : c'est elle qui a eu l'honneur d'inaugurer en France le diplôme féminin de licencié en droit, et elle entre au Palais, précédée d'une
Son père, mort en 1879, était notaire à Provins ; orpheline à l'âge de dix-sept ans, n'ayant à compter que sur sa propre initiative pour se créer une carrière, elle se livra délibérément aux études classiques avec une ardeur peu commune, même chez le sexe fort : en douze ans, elle avait conquis de haute lutte ses diplômes de bachelier ès lettres, de bachelier ès sciences, de licencié ès lettres, de licencié et de docteur en droit. Munie d'un pareil bagage, Mlle Chauvin avait le choix entre les diverses professions libérales aujourd'hui accessibles au sexe faible ; ce fut ver la plus ardue, jusqu'alors inexplorée des femmes françaises, qu'elle se dirigea par vocation.
Au mois de novembre 1897, elle présentait une requête sollicitant son inscription au barreau de Paris, réussissait à se faire délivrer le visa nécessaire de M. le procureur général Bertrand ; il ne lui restait plus qu'à obtenir l'autorisation de la Cour pour la prestation du serment et le dignus intrare du Conseil de l'ordre.
Malgré les sympathies influentes, malgré toutes les bonnes raisons que fit valoir en sa faveur un membre distingué du barreau de Bruxelles, Me Louis Frank, elle se vit refuser ce qu'elle considérait comme une conséquence naturelle et légitime de son accession au diplôme : les légistes du Palais, effarouchés par la nouveauté du cas, se retranchèrent derrière une interprétation judaïque de la loi. Bref, comme on dit vulgairement, la poire n'était pas encore mûre. La postulante subit galamment son échec, résignée à patienter jusqu'au moment psychologique, et occupa utilement cette période d'expectative en donnant des consultations et en professant un cours de droit élémentaire dans les lycées de jeune fille.
Pendant ce temps-là, la poire mûrissait : le féminisme progressait dans l'opinion publique, s'insinuait chez nos législateurs, et, au mois de novembre 1900, trois ans presque jour pour jour après le rejet de la requête de
Mercredi dernier, enfin, elle a pu revêtir la robe professionnelle pour la formalité préliminaire de la prestation du serment. Cette robe, elle l'a voulue sérieuse, "à l'ordonnance", ne