Il se passe parfois des choses surprenantes. Pas aussi surprenantes que ce qu'on peut lire dans ce Mémoires sous médocs, mais tout de même. Figurez-vous qu'en l'espace de quelques jours, j'ai conseillé ce livre à pas moins de quatre personnes. Et alors, me direz-vous ?Je parle souvent bouquins, je m'enquiers régulièrement des lectures des uns et des autres, et il n'est pas rare que l'évocation de tel ou tel titre m'entraîne sur des discussions où je ne peux m'empêcher de finir par une de ces phrases : « lis(ez)-le, tu (vous) vas (allez) te (vous) régaler ». Donc, qu'y a t-il eu de si surprenant cette fois-ci, à conseiller un livre à peine terminé ?
Je ne l'ai pas terminé. Je sais, je sais. Gonflé le BiblioMan(u), devez-vous penser. Il s'en est pété les chevilles à force de s'imaginer le sauveur des âmes en panne de lecture, alors que, franchement, c'est pas les bouquins qui manquent. Touché par le syndrome de l'ego de l'auteur de critique et celui de super-héros. Un mélange si explosif que vous vous demandez si vous faites bon de lire ces lignes; On ne sait jamais, ça pourrait être contagieux.
Alors ? Qu'en est-il de cette bizarrerie ?
Mémoires sous médocs, c'est l'histoire de Will, un étudiant mal dans sa peau dont la situation familiale n'est pas au beau fixe et qui, du coup, carbure aux antidépresseurs. Armé de son fidèle ordinateur portable Spunky, il raconte sur le web la quête insensée et complètement folle dans laquelle il s'est lancé, où sous l'influence des médicaments, il doit faire face au SI, le syndrome de l'information, ô combien mortel, et lutter contre un Dr Bones qui, c'est sûr, lui veut du mal.
Alors oui, je n'ai pas terminé le livre. Et oui, je l'ai conseillé. Pour la démarche entreprise par Tom Grimes. Il joue en effet de l'absurde pour parvenir à ses fins : à travers les situations les plus improbables et les plus rocambolesques, il dresse la satire d'un monde lui-même absurde où l'information à outrance gangrène le jugement autant que peut le faire l'industrie pharmaceutique avec ses médicaments déshumanisants. Absurde aussi l'hyperconsommation dans laquelle on se noie les uns et les autres, emportés malgré nous par son courant ravageur, à même de nous faire perdre tout sens moral si l'on n'y prend pas garde. Des sujets d'actualité, on le voit, sur lesquels il ne fait pourtant pas de mal de rire un peu.
Tom Grimes semble en tout cas s'être bien amusé à écrire ce livre. Les titres des chapitres sont des pépites d'humour à eux tout seuls, et les dialogues entre Will et Spunky sont tout simplement irrésistibles. Mais voilà, je fais partie de ceux qui ont du mal à s'accrocher quand on quitte le plancher des vaches trop longtemps, et c'est bien le cas de le dire, ce roman là, malgré toutes ses qualités, m'a bel et bien désarçonné. Tout le temps de ma lecture (la moitié du livre), je me suis dit que ceux appréciant Philip K. Dick ou, dans un registre plus proche et bien barré lui aussi, Chuck Pahlaniuk – on fait pire comme référence, non ? - je me suis dis, donc, que ceux-là y trouveraient leur compte. Il s'avère que j'en ai quelques uns autour de moi, alors...
Mémoires sous médocs, Tom Grimes, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Patrice Carrer, Fayard (Fayard noir), 349 p.