Si je vous parle d’une histoire de famille couvrant trois générations en plein 20ème siècle, vous allez naturellement vous dire qu’il s’agit là d’une immense saga, d’un bon gros pavé où action, secrets et trahisons tiennent le haut du pavé autour de personnages hauts en couleurs. Ce en quoi vous n’avez pas tout à fait tort, hormis qu’il s’agit en fait d’un roman assez court, ce que l’absence de 3D ne vous permet pas de constater ici. Ce qui est surprenant, néanmoins, c’est que parvenu à son terme, l’impression d’avoir brassé l’Histoire, traversé la première guerre mondiale, puis la seconde, celle d’Indochine, d’Algérie tout en faisant en sorte que l’on connaisse chacun des personnages, qu’ils n’aient presque aucun secret pour le lecteur, cette impression, donc, est assez confondante.
La vie des Ivanov demeurerait une succession de malentendus, pavés de bonnes intentions.
C’est en fait sur les hommes de cette famille que se porte toute l’attention. Sur Sacha d’abord, quittant sa Russie natale avec son meilleur ami pour la France afin d’y accomplir ses études, pour finir emporté par le courant de l’Histoire dans laquelle il aura un rôle important à jouer. Tout comme ce sera le cas ensuite pour Igor puis pour Léo. Tous portent en eux les stigmates de cette « malédiction des bijoux de famille », qui consiste à ne pas pouvoir rester en place, qu’il s’agisse de céder aux appels de l’Aventure ou aux charmes des femmes, qu’ils aspirent d’une certaine manière à aimer toutes. Tous, sans exception, sont soumis à la reproduction du schéma paternel, plus que familial, sans parvenir à s’en défaire : la création du lien indéfectible de l’amitié, la participation marquante dans la marche de l’Histoire, la tromperie, donc, et ce fichu orgueil qui les empêche de venir les uns à la rencontre des autres. Seul Léo cherche à reconstituer le puzzle familial, à se démarquer de cette malédiction – sans préméditation ou bravade d’aucune sorte, il est le premier à lire Libération quand les autres pliaient et repliaient le Figaro – qui le ronge, encore et toujours dans ce qu’elle a d’inéluctable et de destructeur.
On pourrait penser, à la lecture de ces quelques lignes ,que les femmes sont écartées de cette histoire. Qu’on se détrompe – même si j’entends déjà Calamity Jane sortir tromblons et colts au traitement qui leur est réservé dans ce livre –, elles aussi, à leur manière, favorisent la continuité de la malédiction et s’affirment sur l’échiquier de l’Histoire.
Avec l’air de ne pas y toucher avec une histoire où l’humour est omniprésent, Laurent Maréchaux s'attaque en fait à des sujets sensibles avec une réelle émotion. Et le moins que l’on puisse dire c’est que ça fait mouche, avec ou sans gros pavé.
Bijoux de famille, Laurent Maréchaux, Le Dilettante, 252p.