Magnifique ! Il n'y a pas d'autre mot pour qualifier le dernier livre de Jonathan Coe. Sortez vos mouchoirs, l'émotion est au rendez-vous. Mais attention, pas une émotion faite de pathos, pour lequel j'ai développé un bouclier répulsif à même de me faire tomber des mains tout bouquin qui aurait tendance à en user ou en abuser. Non, ici, l'émotion se distille en finesse, suit le cours de l'histoire sans jamais déborder de son lit.
L'histoire, justement. Rosamond vient de mourir, et elle a chargé sa nièce, Gill, à qui elle a légué une partie de sa fortune, de retrouver une certaine Imogen. A charge alors pour elle de lui remettre l'héritage qui lui revient, de l'argent bien sûr, mais aussi des cassettes, sur lesquelles Rosamond s'est enregistrée. A travers vingt photographies, elle retrace en effet le parcours de sa vie, de sa famille, de ses amours. Mais surtout, elle révèle à Imogen les secrets de son origine et les causes de sa cécité.
Il ne manque plus que le son. On imagine sans mal cette vieille femme assise sur son fauteuil, son magnétophone à portée de bouche, en train de regarder ses photographies, celles jaunies et vieillies par le temps et celles plus récentes, puis de fermer les yeux et de se laisser emporter par ses souvenirs. On l'imagine mais surtout on l'écoute - tout comme Gill et ses filles - emportés par sa voix. Il souffle un air de nostalgie dans ses propos mais on ne doute pas un seul instant de la véracité des faits qu'elle relate. Le temps, cette fois-ci, n'a pas altéré sa mémoire. Pas à elle.
Emu et touché le BiblioMan(u), comme jamais Coe n'était encore parvenu à le faire malgré l'inénarrable Testament à l'anglaise, bijou de drôlerie et de cynisme. Peut-être est-ce parce que, pour la première fois, il a choisi de faire parler son personnage principal à la première personne ? Un « Je » féminin capable de faire oublier que c'est un auteur qui la fait parler.
On mesure les grands romans à la manière dont on parvient à s'immerger dans l'histoire, à la manière dont on se laisse emporter par la musique des mots, à la manière, enfin, dont les personnages nous habitent et nous deviennent si familiers, qu'ils nous accompagnent longtemps après avoir refermé le livre. A ce titre et sans en douter une seule seconde, La Pluie avant qu'elle tombe, est grand. Très grand.
La Pluie avant qu'elle tombe, Jonathan Coe, traduit de l'anglais par Jamila et Serge Chauvin, Gallimard (Du Monde Entier), 248p.