Le banc et l'anisette

Par Jlhuss

Il me revient l’histoire de cet homme revu cinq fois aux urgences dans la même soirée !

Il faisait chaud, très chaud !

Dans les immeubles collectifs, le coucher du soleil n’amenait aucune fraîcheur. Les fenêtres s’étaient ouvertes ne laissant entrer qu’un air surchauffé et collant, ne laissant sortir que le son des téléviseurs presque tous branchés sur le même programme : audimat ! Par ces chaudes soirées d’été, on mesure mieux l’importance de l’entonnoir télévisuel.

Il y en a deux qui ne participent pas au gavage collectif.

Le premier est à sa fenêtre, essayant de gober quelques bouffées d’air, le second, ne supportant plus la surchauffe de son 5ème incandescent, a juré de passer la nuit sur le banc d’en bas.
Le problème ? Ils ne sont pas d’accord ! Le premier juge que le second trouble la qualité de son paysage et qu’il ronfle inconsidérément.
Le second a du déjà dire merde au premier, et à plusieurs reprises : lui signifiant que « l’on est en république » et que le banc est à tout le monde : espace collectif de cette même République.
Le premier, s’appuyant sur les forces de cette République, ne cesse de faire le 17, puis le 18, puis le 17 à nouveau qui le renvoie sur le 18 … Avertissant « en bon citoyen » policiers et pompiers qu’un homme en état d’ivresse (sic) serait un danger (pour lui-même et pour les autres, formule consacrée!), sur le banc d’en bas.

Las du téléphone, ils sont allés voir, d’ailleurs la Loi les y oblige : le premier n’a pas été sans leur rappeler, lui qui connaît bien Jean-Pierre (le maire, député) et les autres !
Pour son malheur le second, chaleur aidant, sent un peu l’anis, modérément, mais un peu seulement : “Oui!  quelques anisettes … mais surtout des glaçons » ! « C’est pour les glaçons que j’ai un peu bu, Docteur ; vous avez vu cette chaleur ! » : Un peu somnolent, pas méchant, ronfleur ? Sûrement !
Pas question de l’hospitaliser pour si peu! La République regardante sur les comptes de la sécurité sociale, privilégie quand même l’absolue nécessité d’une voie publique “clean”. Le souci du dossier “bien classé” et “du bon débarras” se mêlent pour amener aux urgences, au “Couloir”, tout ce qui dérange.

Le “patient” est examiné, conseillé, puis renvoyé chez lui faute de la moindre pathologie significative ou inquiétante. Il remonte dans son 5ème, pour immédiatement redescendre sur le banc.

Une fois deux fois, trois fois, cinq ! la République ne se lasse pas, le manège peut durer tant que l’appelant s’entête.

A la cinquième, l’énervement commence à poindre chez les “soldats du feu” et les forces de la République, on peut comprendre : « Ou vous le gardé, ou c’est nous qui le gardons … au poste » Personne n’a l’idée ni l’envie d’aller engueuler la bonne âme à son balcon et au téléphone : et tourne le manège !

Je parlemente : il accepte de remonter dans son 5ème et d’y rester! Il a compris que je ne peux plus lui sauver la mise.

Il est impossible de dormir tranquille sur un banc par une belle et chaude soirée d’été !