Quel convive se méfierait des menus qu’il propose dans un recueil récemment publié et qui incluent, par exemple, une rose de laitue farcie à l’houmous, une bouillabaisse thaï aligotée et une cassolette de fraises meringuée ? Autant de plats dont la dénomination seule ouvrirait volontiers l’appétit. Cependant, derrière cet appel à la gourmandise, se dissimule un réel pouvoir de nuisance aux effets dévastateurs, voire, si l’on peut dire, détonants.
Au titre de son livre, je m’étais un peu méfié : sur son innocente couverture de toile rose bonbon, on pouvait en effet lire Les plats qui font péter (Les Editions de l’Epure, 67 pages, 20 €). Je soupçonnais quelque plaisanterie de comique troupier ou, au mieux, quelque manuel peu engageant où le chou aurait rivalisé avec le haricot tarbais, les flageolets et autres mogettes. Le sous-titre, en revanche, effaçait l’appréhension première : « 36 recettes propres à incommoder vos ennemis ou se débarrasser des fâcheux. » L’auteur d’une telle phrase ne pouvait sombrer dans le graveleux, se complaire dans la vulgarité. Et, de fait, son livre se révèle aussi plein d’humour que machiavélique ; étant donné son sujet, il relève en outre le défi – véritable paradoxe – de ne pas manquer d’élégance.
Patrice Caumon ne s’est pas lancé seul dans l’aventure ; il s’est entouré des conseils avisés d’un cuisinier, Olivier Giraud et d’une diététicienne, Corine Guzzo. Le but de ce trio, qui s’apparente à une association de malfaiteurs, s’inscrit à l’opposé de ce que nous aurions pu attendre de lui :
« Votre ennemi mange chez vous ce samedi soir et se prépare à une réunion importante lundi matin ? Vous aimeriez le savoir scotché sur le trône ou être pris de puissantes flatulences pendant un match ou lors d’un rendez-vous professionnel crucial ? Ce livre est fait pour vous ! Vous pourrez gêner vos ennemis dans leurs entrailles en toute discrétion sans éveiller les soupçons, en vous instruisant et en vous amusant. »
L’originalité du concept réside dans le raffinement des mets présentés. On trouvera ainsi, au chapitre des entrées apéritives, des tartelettes d’œufs de caille pochés et mayonnaise à la roquette, des pruneaux farcis au fromage frais et bacon, des tartines grillées au pesto ou un gaspacho de melon aux fraises. L’auteur a également songé à fournir un argumentaire destiné à apaiser les réticences des plus méfiants. La recette du gratiné de confit de canard à l’abricot et purée d’antan (sous titrée : du blizzard dans les vestiaires) est, à titre d’exemple, assortie de cet avertissement :
« Dites : ʺLe gras du canard est très bon, il contient plein d’oméga-3 et 6 dans les bonnes proportions, il est conseillé d’en utiliser la graisse dans le cadre du régime gersois.ʺ Pour proférer cette absurdité, n’appuyez pas plus que d’ordinaire afin de ne laisser transparaître aucun trouble. Pourrir son ennemi d’ennuis gastriques vaut bien un petit effort ! »
L’ouvrage se termine par une liste de « conseils pernicieux », sorte d’arsenal de poche permettant à chacun d’assouvir une vengeance toute culinaire contre une victime donnée, en choisissant avec précision l’effet désiré. L’entrée « coquille d’œufs » indique notamment :
« Passée au four puis broyée, elle est l’arme fatale du pet et du ballonnement. Facile à faire, à incorporer et à doser, elle est idéale pour tester les temps de latence sur chacun de vos proches, parfaite pour faire terriblement péter tout un groupe de personnes sans se lancer dans la grande cuisine. Vous serez étonné de la variabilité des résultats quand vous la combinerez avec différentes recettes de ce livre. Elle agira comme un catalyseur. »
Comme la plupart des livres publiés par Editions de l’Epure, l’ouvrage de Patrice Caumon est un petit bijou typographique ; il n’en reste pas moins un guide de recettes utile et une arme redoutable. Sa lecture amuse et fait naître bien des tentations, a posteriori…
Illustrations : Frontispice pour la seconde édition de l’Art de péter, 1776, gravure - Le dieu Crépitus, gravure.