un roman russe

Par Clarinette
Ce livre m'a à la fois touchée, gênée, boulversée et troublée. Emmanuel Carrère y explore plusieurs aspects de son histoire personnelle et familiale et tente de recoller les morceaux de sa vie. A travers ce récit, il entreprend une sorte de thérapie, brise un silence qui a traversé trois générations et ose s'attaquer à un sujet tabou, occulté en particulier par sa mère : la disparition mystérieuse de son grand-père à la fin de la guerre.
Sous prétexte de tourner un film documentaire sur une petite ville de province perdue, Kotelnitch, il effectue une sorte de pélerinage en Russie au cours duquel il tente de pratiquer la langue qu'il a parlé enfant et qu'il a perdu depuis. J'ai particulièrement aimé ces passages où Emmanuel Carrère décrit parfaitement et sans détours ses rencontres, ses impressions et son ressenti.
En revanche, la description de sa relation avec Sophie, sa compagne, m'a par moments dérangée. Il s'y montre sous un jour assez égoïste et machiste, mais il a le mérite de faire preuve d'honnêteté et de sincérité. Comme dans tout récit autobiographique il y a un côté impudique et nombriliste qui peut parfois être agaçant, mais, heureusement, il y a la plume d'Emmanuel Carrère. La lettre adressée à sa mère à la fin du livre m'a émue aux larmes et j'ai du faire une pause avant de la lire jusqu'au bout.
L'auteur de La moustache, L'adversaire et La classe de neige a toujours cette capacité d'aller au fond des choses. Une quête de vérité que l'on trouve déjà dans ses précédents romans, ici, c'est de sa propre vérité dont il s'agit.


extrait : "Tout de même, pourquoi Kotelnitch ? Quand je dis, pour aller vite, que je veux y retrouver mes racines, c'est de la blague. je n'en ai aucune à Kotelnitch, et au fond aucune en Russie. L'arrière-grand-oncle qui a été six mois gouverneur de Viatka et qui défenestrait les musulmans fait toujours grand effet quand j'en parle. sacha l'écologiste s'est offert à lancer des cherches sur lui dans les archives, j'ai dit oui oui d'un air enthousiaste mais en réalité je m'en fous. Mon grand-père était géorgien, ma grand-mère  a grandi en Italie, les vastes domaines de mes arrières grands-parents m'indiffèrent. Cette terre ne m'est rien, seulement la langue qu'on y parle. ce n'est pas ici que ma mère l'a apprise et parlée, que je l'ai entendue enfant, mais à Paris. alors pourquoi aller à Kotelnitch, sinon parce que s'est échoué là le destin de ce Hongrois qui me permet d'approcher par un chemin détourné celui de mon grand-père ?
Parfois, je me dis ceci : qu'il s'agit d'un trajet dont le point a est l'histoire du Hongrois, le point z celle de Georges Zourabichlivi, et qu'entre ces deux points je ne sais pas ce qu'il y a. Le pari, que rien ne justifie rationnellement, est de le trouver à Kotelnitch. J'aurais pu aller en Géorgie, suivre l'émigration de mon grand-père, Tbilissi, Istanbul, Berlin, Paris, Bordeaux, jusqu'à cette avenue que j'imagine bizarrement écrasée de soleil où se trouvait l'immeuble de la Kommandantur. mais non, c'est Kotelnitch."


Un roman russe, Emmanuel Carrère, Folio, 399 p.