C’est une affaire au profil quelque peu inhabituel que la Grande Chambre de la Cour européenne des droits de l’homme a tranché dans un arrêt rendu le 30 juin 2009. Une association de défense des animaux avait souhaité - en 1994 - faire diffuser un spot publicitaire dénonçant l’élevage des cochons “en batterie”. L’instance de contrôle de la publicité puis les juridictions suisses refusèrent. A la suite d’une première requête déposée par l’association, la Cour européenne condamna la Suisse pour violation du droit à la liberté d’expression (Art. 10 - Cour EDH, 2e Sect. 28 juin 2001, Verein gegen Tierfabriken (VgT) c. Suisse, req. no 24699/94). Cependant, un nouveau refus fut opposé par la même instance à la demande de diffusion du même spot, accompagnée d’une mention de la condamnation de la Suisse. Le recours en révision - procédure qui permet, en Suisse, de faire réviser une décision interne après condamnation par la Cour européenne - ne fut pas non plus couronné de succès. Une seconde requête fut donc introduite devant cette dernière qui rendit, en formation de chambre, un arrêt condamnant la Suisse, toujours pour violation de l’art. 10 (Cour EDH, 5e Sect. 4 octobre 2007, Verein gegen Tierfabriken (VgT) c. Suisse (n° 2), req. no 32772/02).
Verein gegen Tierfabriken (VgT) c. Suisse (n° 2)
30 juin 2009 (Requête no 32772/02 )
Actualités droits-libertés du 30 juin 2009 par Nicolas HERVIEU
La Grande Chambre, saisie par renvoi de l’arrêt de Chambre (Art. 43), se trouvait face à un enjeu aussi important que complexe (notons à cet égard la tierce-intervention du gouvernement tchèque). Il se décompose en deux questions.
1°/ - La Cour devait, notamment, déterminer si elle est elle-même compétente ratione materiae car une requête est irrecevable « si elle ne contient pas de faits nouveaux » vis-à-vis de la première requête (Art. 35.2 b).
Sur ce point, il est relevé que le rejet de la demande en révision était « fondé notamment sur des motifs nouveaux, à savoir qu’en raison du temps écoulé, l’association requérante aurait perdu tout intérêt à voir diffuser le spot » (§ 65). Mais les juges européens n’hésitent pas à entrer dès maintenant dans l’enjeu sous-jacent à cette question. Cet enjeu est d’ailleurs formulé nettement par le gouvernement tiers-intervenant qui argue « que la Cour n’a aucune compétence dans l’examen par le Comité des Ministres de l’exécution des arrêts de la Cour » et que « la Convention ne garantissant pas le droit à la réouverture de la procédure interne à la suite d’un arrêt de la Cour, cette dernière n’a aucune compétence pour sanctionner un Etat défendeur parce que celui-ci a rejeté une demande » (§ 56 et 57).
La Cour ne dénie certes pas la compétence conventionnelle (Art. 46.2) du Comité des ministres dans l’exécution des arrêts (§ 61). Néanmoins, elle souligne fermement sa propre compétence (Art. 32.2 : « (e)n cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la Cour décide »), notamment pour les questions nouvelles (§ 67). Et surtout, elle souligne en creux les carences de l’action dudit Comité puisqu’il s’était borné à considérer le premier arrêt comme exécuté sans attendre le résultat de l’action en révision et en prenant seulement acte de l’existence d’une telle procédure en droit suisse. La juridiction strasbourgeoise justifie donc, in fine, sa compétence de façon très pragmatique : « Si la Cour ne pouvait […] connaître [du refus de révision], il serait soustrait à tout contrôle au titre de la Convention » (§ 67).
2°/ - Sur le fond, il s’agissait de savoir si le refus de révision - et donc le second refus du spot publicitaire - était constitutif d’une violation de l’art. 10.
La Grande Chambre se détache ici explicitement du raisonnement développé par la Chambre en jugeant « opportun d’aborder la présente requête sous l’angle de l’obligation positive de l’Etat défendeur de prendre les mesures nécessaires afin de permettre la diffusion du spot litigieux » (§ 78). A cette fin, elle s’appuie sur la liberté d’expression et la nécessité de son « exercice réel et “effectif” » (§ 80) mais aussi et surtout sur « l’importance, dans le système de la Convention, de l’exécution effective des arrêts de la Cour » (§ 83 et § 84-85). Plus encore, il est fait appel « aux principes de droit international selon lesquels un Etat responsable d’un acte illicite a le devoir d’assurer une restitution » et à l’ « article 35 du projet d’articles de la Commission du droit international relatif à la responsabilité des Etats pour fait internationalement illicite » (§ 86).
Quant à la latitude dont dispose les Etats pour assurer l’exécution des arrêts, la Cour rappelle certes leur liberté de principe concernant le choix des moyens (§ 88) et que « s’agissant en particulier de la réouverture d’une procédure, il est clair que la Cour n’a pas compétence pour ordonner de telles mesures » (§ 89). Toutefois, elle souligne « en l’espèce » (§ 90) que la réouverture de la procédure interne « pouvait constituer un aspect important de l’exécution des arrêts de la Cour » (§ 90). D’ailleurs, elle fustige de nouveau le Comité des ministres en rappelant qu’il faut examiner l’issue de cette réouverture pour vérifier le respect de l’exigence d’exécution (§ 90).
Vient ensuite une analyse plus classique du respect de l’article 10, analyse néanmoins placée sous l’égide d’une obligation positive spécifique (celle « de prendre les mesures nécessaires afin de permettre la diffusion du spot litigieux à la suite de l’arrêt de la Cour ayant constaté une violation de l’article 10 » - § 91). Au regard notamment de l’« intérêt public certain » du spot en question (§ 92), le refus de diffusion est une nouvelle fois jugé contraire à l’article 10 (§ 98).
Par cet arrêt, la Grande Chambre a fait un nouveau pas sur le terrain de l’exécution des arrêts, domaine qui est pourtant l’apanage du Comité des ministres du Conseil de l’Europe (voir néanmoins l’avancée des « arrêts-pilotes », - CEDH, G.C. Broniowski c. Pologne, 22 juin 2004, req. 31443/96). Certes, un contrôle strasbourgeois postérieurement à une procédure de réouverture n’est pas inédit (V. notamment Cour EDH, Dec. 17 janvier 2002, Hertel c. Suisse, req. n° 53440/99), mais c’est ici la première fois qu’un tel contrôle débouche sur une seconde condamnation. Certes, la Cour ne consacre pas ici une obligation positive de réouverture de la procédure interne en cas de condamnation, mais elle souligne son importance pour la bonne exécution de ses arrêts (« la réouverture d’une procédure ayant violé la Convention n’est pas une fin en soi, elle n’est qu’un moyen - certes privilégié - susceptible d’être mis en œuvre en vue d’un objectif : l’exécution correcte et entière des arrêts de la Cour » - § 90).
Cependant, en étant ainsi contrainte de rester au milieu du gué - entre refus affiché d’entrer dans la phase d’exécution et sanction indirecte de l’inexécution d’un arrêt -, la Cour s’expose à de nombreuses critiques qui font douter de la solidité et donc de la pérennité de sa position (v. les trois opinions dissidentes sous cet arrêt).
Verein gegen Tierfabriken (VgT) c. Suisse (n° 2) (Cour EDH, Grande Chambre, 4 octobre 2007, req. no 32772/02)
30 juin 2009 (Requête no 32772/02 )
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Arrêt de Grande Chambre
30/06/2009
Dans l’affaire Verein gegen Tierfabriken Schweiz (VgT) c. Suisse (n°2), la Cour a conclu à la violation de l’article 10 (liberté d’expression) en raison du maintien de l’interdiction pour l’association requérante de diffuser un spot télévisé dénonçant l’élevage de porcs en batterie. Communiqué de presse