"L'accuser de pédophilie quand il était «grand» n'aurait donc pas plus de sens que de l'avoir accusé de gérontophilie quand il était «petit»(. ..) Il a réussi ces trois choses inouïes à partir de trente-cinq ans : devenir enfin un enfant, devenir enfin anonyme, devenir enfin pauvre." YM
"Le chroniqueur du Figaro Littéraire, auteur de Podium, Yann Moix explique le mystère de la star décédée la semaine dernière et justifie l'émotion que cette mort a suscitée. "
Michael Jackson, toute sa vie, fut un homme à l'envers. D'habitude, on commence par être un enfant, et ensuite seulement, on devient un adulte. Michael fut, lui, privé d'enfance : par son père, d'abord, qui le frappa et le détesta, le moqua et l'humilia, et par la gloire enfin. À sept ans, il était déjà une star planétaire avec hommes d'affaires aux mollets, managers aux talons, et groupies aux trousses. Il a donc fallu que Michael diffère son enfance à plus tard : c'est-à-dire à l'âge qu'ont généralement les adultes.
L'accuser de pédophilie quand il était «grand» n'aurait donc pas plus de sens que de l'avoir accusé de gérontophilie quand il était «petit». Devenu (enfin) enfant dès que sa fortune et sa célébrité ont pu le permettre, il a passé les dernières années à jouer avec des enfants de son âge. C'est pour cela qu'on ne le voyait plus sur scène : plutôt que de faire des tours du monde, il faisait le tour du sien, c'est-à-dire des tours de manège. Lorsqu'on épluche les comptes et engueule les roadies à sept ans, qu'on vérifie le calendrier et qu'on passe ses journées dans la fumée des cigares, qu'on a commencé par la fin, on se retrouve à quarante-cinq ans en photo à côté de Mickey, tout simplement parce qu'on a relégué (pour des raisons d'agenda) son immaturité en fin de vie.
Michael Jackson est, ainsi, un être à la chronologie inversée. Mais ce n'est pas la seule raison pour laquelle il est un homme à l'envers. En effet, l'aspect «reverse» de sa vie se traduit également dans ses rapports avec la célébrité. Michael fut une star mondiale à l'heure où les autres rentrent tranquillement à la maison boire leur chocolat chaud et faire leurs devoirs. Il a donc commencé son existence par un maximum de célébrité, ce qui, là encore, correspond à un processus inversé : il faut habituellement des années et des années pour acquérir une gloire planétaire, une notoriété mondiale. Mick Jagger, par exemple, a été obligé de terminer ses études d'économie avant de devenir Mick Jagger. Quand elle avait vingt ans, personne ne connaissait Madonna. Tandis que lorsqu'il avait vingt-cinq ans, cela faisant vingt ans que le monde entier connaissait Michael Jackson. Là encore, ayant commencé par la fin, Michael n'aura eu d'autre choix que de terminer par le début : de là son obsession, à mi-vie, de l'anonymat, du retrait, de la réclusion. Il a voulu s'effacer du tableau de la célébrité. Il a voulu finir, non seulement en n'étant pas célèbre, mais en ne l'ayant jamais été. Il aurait rêvé, non pas simplement de n'être plus reconnu, mais de n'être plus jamais reconnaissable. (Avouons qu'il avait presque réussi.)
Il est évident que nous sommes là au cœur même de sa volonté de «changer de couleur» : dans un monde, non seulement de Blancs, mais blanc tout court, façonné par et pour les Blancs, se blanchir fut une façon de se fondre dans le décor, de disparaître des regards, de n'être qu'un flocon sur une étendue neigeuse. Jagger, Presley ont passé toute leur vie à travailler dur pour devenir des Noirs ; à l'envers de tout, Michael aura tout fait pour devenir un Blanc.
Ce qui fascine d'ailleurs dans cette inversion, dans ce passage voulu de la célébrité à l'absence de célébrité, c'est que celle-ci est devenue tellement monumentale que croiser Michael Jackson dans la rue (dans une rue de Disneyland) était devenu la preuve que cela ne pouvait être le vrai. Cette célébrité hors norme lui aura finalement servi d'anonymat. Qui d'autre, dans l'Histoire de l'humanité, aura pu expérimenter cela, que d'être sempiternellement pris pour un sosie, que d'être beaucoup trop vrai pour se ressembler vraiment ? On s'étonne que Michael Jackson fût pauvre à la fin de sa vie : rien de plus logique, puisque milliardaire à l'adolescence, il fut là encore la victime d'une inversion de tout parcours humain traditionnel. Son but était forcément de finir ses jours comme ils auraient dû commencer, dans le dénuement. Là encore, il a réussi.
Il a réussi ces trois choses inouïes à partir de trente-cinq ans : devenir enfin un enfant, devenir enfin anonyme, devenir enfin pauvre. Mais enfant à la manière d'un adulte, anonyme grâce à sa notoriété, pauvre à l'aide de sa fortune (sa façon de s'endetter n'est permise qu'aux fortunes colossales). Il se sera donc offert à la force du poignet, et en déployant des moyens démesurés, un point de départ naturel. Il y sera parvenu par une débauche d'artifices. Et de feux d'artifice. Même sa mort nous apparaît comme une naissance à l'envers : décédé d'avoir pris trop de médicaments pour vivre.
Oui, un homme à l'envers, qui semblait aller de l'avant. C'est le principe même de cette danse qui le rendit célèbre : le «moonwalk». C'est cela, une révolution, c'est avancer vers le révolu. C'est avancer vers l'arrière. En ceci, Michael Jackson aura révolutionné non seulement la musique, mais son époque. Et aujourd'hui que la terre entière le pleure, musulmans, juifs, athées et chrétiens, d'une larme identique et universelle, impeccablement planétaire, on se réjouit au moins d'une chose : de ce que les peuples peuvent souffrir d'une même chose. Michael nous aura apporté, avec ces envers à l'endroit, quelque chose d'inattendu : la première paix mondiale.
(via forum grioo)