Le maire Jean Drapeau était un homme cultivé, racé, bien instruit et un grand amant de la musique, particulièrement la musique classique. À chaque fois que j’ai eu le privilège de le rencontrer à son bureau particulier, l’ambiance de son lieu personnel de travail était baignée des sons des œuvres des grands compositeurs passés, interprétées par les meilleurs artistes du monde ou les plus grands orchestres.
Il éprouvait des sentiments d’admiration pour le beau et voulait que ses concitoyens partagent avec lui le plaisir qu’il y trouvait. Il voulait les associer à ses sentiments élevés pour l’esthétique et on a pu constater, tout au long de sa gouvernance de notre ville, ses efforts pour ce faire.
L’Expo67 fut pour Jean Drapeau l’occasion de démontrer ce qu’il était capable de faire. Il est vrai que l’idée originale d’une exposition était venue du Sénateur canadien Mark Drouin qui le jour du Canada, à l’exposition internationale et universelle de Bruxelles de 1958, avait énoncé l’idée qu’il serait merveilleux si un tel évènement pouvait être tenu au Canada pour marquer le centième anniversaire de la confédération canadienne.
J’étais alors président de la Chambre de Commerce des Jeunes du district de Montréal et j’ai sauté sur cette proposition pour former le premier comité qui fit la promotion d’une telle exposition pour Montréal. Le maire d’alors, Sarto Fournier, nous donna un appui total et avec la collaboration de l’Office d’Initiative économique et touristique de Montréal nous avons pu préparer un document complet, sur les avantages d’une telle exposition pour notre pays et Montréal, pour le présenter au PM canadien John Diefenbaker. Celui-ci accepta de demander au Bureau des Expositions Internationales, à Paris, l’obtention du droit de tenir une exposition à Montréal. Malheureusement Moscou fut choisi. Quelques années plus tard, le gouvernement de l’URSS, pour des raisons politiques, se désista et c’est alors que Jean Drapeau, redevenu maire de Montréal, pu, toujours avec l’accord de Diefenbaker et du PM québécois Jean Lesage, obtenir l’Expo.
L’expo67 fut un grand succès grâce à Drapeau et aux gouvernements supérieurs. Mais, on se rappelle moins que Drapeau avait profité de l’occasion de la venue d’un si grand nombre de races de la planète à Montréal pour suggérer et obtenir de l’organisation d’Expo67 la tenue d’un grand festival de musique à Montréal. C’est ainsi que fut créé le Festival Mondial, évènement culturel parallèle à l’Expo auquel participèrent les meilleurs artistes musicaux du monde, de toutes catégories.
Plus de 3,5 millions de spectateurs assistèrent à 672 manifestations de 110 ensembles, totalisant environ 25 000 exécutants de 25 pays. Les manifestations se déroulèrent dans les trois théâtres de la Place des Arts ainsi qu'à l'Expo-théâtre de 2000 sièges construit sur le site de l'Expo 67 et à l'église catholique Saint-Jacques-le-Mineur.
Effectuant leurs débuts nord-américains, six des plus importantes compagnies d’opéra du monde, au grand complet, parmi lesquelles on retrouva La Scala de Milan et l'Opéra du Théâtre Bolchoï, présentèrent chacune des productions lyriques sur scène. Des concerts dirigés par les plus grands directeurs furent donnés par les quatorze meilleurs orchestres philharmoniques de la planète dont ceux de Vienne et de Melbourne. Les concerts des orchestres et des ensembles de chambre regroupèrent dix des plus renommés groupes dont l'Octuor de l'Orchestre philharmonique de Berlin et le Quintette Danzi des Pays-Bas.
Parmi les cinq chœurs de chants qui se firent entendre, il y eut celui de l'Armée rouge et celui de l'Université de Copenhague. Plus de seize troupes de ballet et de danse folklorique présentèrent leur spectacle dont ceux du Bolchoï, de l'Opéra de Paris, du Japon, de Cuba et les Grands ballets canadiens. Au nombre des autres manifestations ont figuré un concert gala par les lauréats du concours des Jeunesses Musicales Canadiennes, une semaine de représentations d'Anne of Green Gables, plusieurs concerts de Duke Ellington et son orchestre avec Sarah Vaughan et un concert de sitar du plus grand artiste hindou.
Dans son ensemble, le Festival Mondial constitua l'un des plus imposants rassemblements de musiciens jamais tenu dans une même ville et sûrement le plus grand au Canada.
Jean Drapeau aimait l’art lyrique et était l’ami des plus grandes vedettes canadiennes qui étaient surtout francophones. Il voulait doter Montréal d’un bâtiment pour l’opéra. Voici un extrait de son message lors du grand concert lyrique de l'Université de Montréal, le 18 septembre 1966 :
« Ce soir nous serons heureux d'applaudir un grand nombre de nos artistes. Mais où sont les Duval, Forrester, les London, les Simoneau, les Quilico, les Stratas, les Vickers et combien d'autres ? Ils ne figurent pas au programme parce qu'ils travaillent en ce moment loin de chez nous. Et nous ne pourrions même pas entendre Bisson, Hurteau, Rouleau, Savoie, Turp, s'ils n'étaient venus expressément de Paris et Londres. Colette Boky repart dans quelques jours pour Vienne, Huguette Tourangeau fait toujours partie de la Compagnie Nationale du Metropolitan Opera.
Mais alors que manque-t-il ?
Déjà, nous possédons véritablement tous les éléments nécessaires à la création permanente d'opéra. Nous avons en effet des chanteurs solistes, des chœurs, des musiciens d'orchestre, des metteurs en scène, des créateurs de décors, des spécialistes de l'éclairage, du son et de la régie, des danseurs, un public, une salle bien appropriée, des techniciens divers (constructeurs, peintres, couturiers, électriciens, éclairagistes, maquilleurs, perruquiers, etc.).
Il ne manque qu'une structure pour réunir tous ces éléments. Il s'agit uniquement de les grouper. Et je me refuse à croire que cette tâche nous est impossible, après avoir réussi à bâtir Expo 67 ».
Les gouvernements supérieurs n’engageaient, dans ce temps-là, qu’une faible partie de leur budget pour la construction de nouveaux bâtiments culturels.
Malheureusement, Jean Drapeau ne put obtenir, à son grand dam, leur accord pour donner à nos artistes lyriques, et aux Montréalais et Montréalaises, une salle d’opéra à leur mesure.
À la fin du règne de l’ex PM québécois René Lévesque, Drapeau obtint l’accord de ce dernier pour la construction d’une nouvelle salle pour loger l’orchestre symphonique de Montréal. Une séance de levée de première pelletée de terre eut lieu, au terrain à l’intersection des rues Berri et De Montigny, avec le maire, le PM et l’entreprise Sofati qui s’était engagée à construire la salle pour un montant ferme de 30 millions de $. Malheureusement, cette dernière se rendit compte rapidement qu’elle avait sous-estimé sa proposition et réclama une augmentation du budget. Québec refusa et Drapeau estimant que la ville de Montréal ne pouvait en faire plus, annula le projet, à contrecœur.
Malgré tous ses efforts, Drapeau voyait s’envoler en fumée deux des projets qu’il caressait le plus, parce qu’il voulait respecter les budgets de la ville et maintenir à Montréal un niveau de taxes foncières compétitif et le plus bas possible. Il agissait toujours avec un sens de responsabilité élevé nonobstant ses préférences personnelles.
Une autre démonstration de son amour pour la musique fut son aventure avec « le Vaisseau d’or ». Sur la rue Peel, au cœur de la ville, Jean Drapeau décida d’offrir aux Montréalais un restaurant de haute cuisine où, durant les repas, des chanteurs lyriques de haut niveau ou des ensembles de chambre venaient exécuter leurs numéros. Le restaurant fut un succès jusqu’au jour où des membres du syndicat des cols bleus de Montréal, insatisfaits de la tournure des négociations avec la ville de Montréal, décidèrent de planter une bombe dans l’escalier qui donnait sur le restaurant. Ce fut la fin de l’incursion de Drapeau dans le domaine culinaire.
Il est clair qu’en rapport avec les arts et la culture, Jean Drapeau était un mélomane et non un mégalomane. C’est un autre exemple qui démontre la position injuste de la journaliste Lysiane Gagnon sur la carrière de Jean Drapeau comme maire de Montréal.
J’aimerais bien que le prochain maire soit un homme qui aime le beau.
Claude Dupras