Diaspora II - Rouge : folie désespérée
Sept vaisseaux-arches, nés du programme “Diaspora Humaine”, emportent l’humanité à travers l’espace à la recherche de planètes où s’établir.
Secondus vient de pénétrer dans le système HD-1553. Malgré la hâte des humains à trouver une terre d’accueil, il semble que ce système solaire soit inhabitable…
Chapitre 1 : HD-1553
L’étoile HD-1553 pulsait son aura rouge sang dans tout son système planétaire.
« Quelle tristesse d’être si belle et de devoir mourir », pensa le sergent Nataly Kil.
La jeune femme, officier technique du vaisseau arche Secondus, regardait les courbes et les données que lui transmettait la semi-Intelligence Artificielle. HD-1553 avait atteint le stade des étoiles qui ont épuisé l’hydrogène contenu dans leur noyau. Des maelströms de forces considérables produisaient alors leur expansion. Bien que plus grandes et beaucoup plus lumineuses, ces étoiles devenaient pourtant plus froides à leur surface. Ensuite, d’autres réactions nucléaires allaient inexorablement les amener à s’effondrer sur elles-mêmes.
- Et toi, demanda Nataly à son écran principal, finiras-tu en trou noir ?
Des bruits de pas derrière elle la firent sursauter.
- Alors, sergent, on parle toute seule ? plaisanta une montagne de muscles.
- Je réfléchissais tout haut, monsieur, contra la jeune femme.
Le Général Angus Béotra se fendit d’un de ses rares sourires.
- Je mettrais ça sur le compte de la lassitude. Nous en aurons fini d’ici quelques jours, et la prochaine fois que nous ouvrirons les yeux, cette rouge sera loin dans notre sillage.
Nataly Kil acquiesça : cela faisait quarante-neuf semaines qu’ils avaient pris leur quart. D’ici deux jours, ils réveilleraient leur relève et rejoindraient les champs de stase pour quatre ans.
- Que racontent vos senseurs au sujet de ce système ? s’enquit le général.
- Et bien, il y a devant nous cette planète géante gazeuse de type Jupiter, HD-1553-b. Plus proche de l’étoile, il y a une autre planète, HD-1553-a, au milieu d’un nuage d’astéroïdes résultant sans doute de la collision d’un satellite et d’une météorite.
- Rien d’habitable en somme ?
- Absolument rien : « a » est bien trop proche de son soleil, les températures y sont infernales, l’atmosphère irrespirable et l’activité volcanique intense.
- Autre chose d’aussi… comment dire… intéressant ?
- Si nous avions des besoins en minerais, ce serait l’endroit rêvé : ces astéroïdes sont constitués de métal en majeure partie. La plupart de nos radars voient leurs ondes rebondir dans tous les sens !
Béotra fronça les sourcils et activa l’holosphère de son poste de commandement. Une vue en 3D scintilla dans l’air, au-dessus d’un projecteur. Le système planétaire y était représenté ainsi que le Secondus et une courbe symbolisant sa trajectoire.
- Pourquoi devons-nous passer si prêt de l’étoile ? interrogea-t-il soucieux.
- En nous approchant, nous tirerons partie de l’immense énergie gravitationnelle que dégage l’astre pour soulager nos propulseurs.
- C’est une idée à vous ?
Nataly se contenta d’un signe de tête vers son pupitre.
- Cela vous dérange, Général ?
- Je passe pour être un incorrigible paranoïaque, maugréa-t-il en tournant les talons. Demandez à Lou ce qu’il en pense et appelez le Lieutenant Bershoff : je veux que l’on anticipe le réveil de la prochaine équipe de quart.
*
**
Le lieutenant Yvan Bershoff s’étira, bailla et se leva pour enfiler son uniforme. Pourquoi diable le général voulait-il procéder la rotation du quart maintenant ? Il n’en avait pas la moindre idée. Il n’était de toute façon pas trop du genre à se poser des questions. Officier tactique de formation, il se contentait la plupart du temps d’appliquer les recettes que l’académie lui avait enseignées. Lors de sa dernière campagne sur Terre, lors des émeutes de la faim en Europe de l’Est, il avait eu à mener une opération en Roumanie. Plutôt que de réinventer la poudre, il avait ressorti ses cours et appliqué à la lettre un plan de lutte contre la guérilla urbaine imaginée par les américains du vingtième siècle. Aucune finesse là-dedans mais des résultats époustouflants.
Décoré et promu, on lui avait proposé ce poste sur le Secondus. Yvan en rêvait secrètement : il avait aussitôt accepté pour fuir les innombrables guerres qui secouaient le monde et où on risquait de l’envoyer. Finalement, la paisible routine du vaisseau arche lui convenait bien. Il devait néanmoins reconnaître qu’il n’était pas fâché à l’idée de réintégrer la stase : une année avec presque personne pour discuter, c’était long.
Alors, sortir de leur coma artificiel quelques camarades n’était vraiment pas pour le déranger.
D’une voix pâteuse, il s’authentifia auprès de l’ordinateur du bord et ordonna le début du processus de réveil. Il ne lui restait plus qu’à gagner la passerelle pour superviser l’opération.
Dans l’un des laboratoires de la section scientifique civile, un jeune garçon mettait un terme à une longue série d’analyses. La simulation qui en avait découlé l’avait irrité. Louis « Lou » Gascogne admettait mal les échecs. Or, celui-ci était cuisant. Certes, personne n’en saurait rien : ce pari, il l’avait pris avec lui-même. Cependant, cela n’allégeait en rien le sentiment de s’être lamentablement planté.
- M’énerve ! grogna-t-il.
Ôtant ses mains du système d’interface virtuelle, il se recula dans son fauteuil et consulta d’un oeil critique la liste des défaillances de son montage. La base qu’il avait essayée de bâtir à la surface de HD-1553-a n’aurait résisté, à grand-peine, que deux petites années aux dantesques conditions qui y régnaient. Dix-sept tentatives pour autant de désillusions. Il fallait qu’il l’admette : il n’était pas question que le Secondus interrompe son voyage ici.
Pourtant, lui, il en avait déjà ras le bol de ce voyage. S’il s’échinait tant à trouver une solution viable dans ce système, c’était bien parce qu’il refusait de retourner en stase. Cette espèce de sommeil artificiel, plus proche de la mort que tout autre état, lui mettait les nerfs à rude épreuve. Il ne supportait pas de n’être réveillé que vingt ans plus tard.
Une petite année à s’amuser pour deux dizaines à ne strictement rien faire, sans même en avoir conscience.
- Lou ? fit la voix du sergent Kil sur le réseau de communication principale.
- Oui ?
- Le général Béotra voudrait que tu regardes d’un peu plus près ce système stellaire.
- Je ne fais que ça, bouda le garçon.
- Je m’en doute, reprit la jeune femme, mais il se trouve que le général a un mauvais pressentiment concernant notre approche.
- Hein ? Sur la base de quoi ? Qu’est-ce que vous avez trouvé ? Vos radars ont détecté quelque chose d’anormal ?
- Calme-toi, Lou ! intima Kil. Le général souhaite que tu envisages tous les risques que nous pourrions encourir… Quoi que tu puisses imaginer, acheva la femme comme à regret.
- Super ! s’exclama le gamin. Et j’ai accès à vos semi-IA ?
Nataly ne cacha pas plus longtemps son désarroi.
- On t’a même accrédité un accès à la passerelle pour que tu travailles d’ici.
- Trop cool ! J’arrive le plus vite possible. Je prends juste le temps de vérifier quelques bricoles d’ici.
Lou ne releva pas le soupir navré du sergent quand elle coupa la liaison. Le garçon était aux anges. Enfin un truc passionnant. Et s’il trouvait quelque chose ? Peut-être le laisserait-on une vacation supplémentaire sans le renvoyer dans un de ces horribles tombeaux d’oubli. Du haut de ses seize ans, son QI hors norme devait bien servir à autre chose qu’à dormir.
*
**
L’une après l’autre, les capsules de stase s’ouvraient, béantes comme des gueules de crocodiles. Encore shootés par les drogues, des êtres humains en émergeaient hébétés, avec des allures de morts-vivants.
- De quoi foutre une peur bleue aux âmes les plus sensibles ! s’en amusa Yvan Bershoff.
Sa réflexion ne valut pas plus qu’un haussement d’épaules de la part du sergent Kil. L’humour du slave la dépassait complètement. Et puis, elle avait d’autres chats à fouetter : la sombre prémonition du général ne la quittait plus depuis une bonne heure. Elle-même se sentait gagnée par une angoisse qu’elle n’expliquait pas.
- Salut, salut ! lança un Lou aux anges quand le sas de la passerelle coulissa devant lui. Mortel de venir ici ! Je kiffe un max.
- Hey, gamin ! s’exclama le lieutenant hilare. Qu’est-ce que tu fiches ici toi ?
Se faufilant entre les pupitres, l’adolescent vint taper dans la main de Bershoff. Ces deux-là s’entendaient assez bien, surtout dès qu’il était question de s’affronter aux jeux vidéo.
- Elle ne t’a pas mis au courant ? fit-il en désignant le sergent Kil du pouce. Non ? Et bien le matriciel…
- Ne l’appelle pas ainsi, gronda la femme.
- Ce n’est pourtant pas péjoratif, se défendit Lou. C’est ce qu’il est : un matriciel, un être créé en cuve et viro-amélioré pour être fort, rapide, résistant et bourré d’implants.
- Il n’empêche qu’avant tout, le général Béotra est le commandant militaire du vaisseau arche.
- Bon, bon, ça suffit : vous n’allez pas vous chamailler à chaque rencontre, si ? tenta Bershoff pour calmer le jeu.
- Si tu avais, un tant soit peu, un comportement plus adulte en sa compagnie, Yvan, ça se passerait peut-être mieux.
L’interpellé fit la grimace : si on lui ôtait la possibilité de se défouler avec le gosse, autant le renvoyer au frigo de suite. Cependant, il devait avouer qu’il était en service et sur la passerelle, de surcroît.
- Ok, tu as raison Nataly. Explique-moi ce qu’il fait ici alors ?
Ne pouvant réprimer un énième soupir, Nataly projeta sur l’écran principal la vue actuelle du système HD-1553.
- Le général n’est pas à l’aise avec l’idée d’entrer dans ce système.
- Pas à l’aise ? répéta Birshoff. Qu’est-ce que ça veut dire ça, dans la bouche du général ?
- Il a un mauvais pressentiment, acheva Nataly.
Comprenant qu’il ne tirerait rien de plus de sa collègue, le lieutenant se tourna vers Lou.
- Ton rôle là-dedans ?
- Faire tourner mes méninges à fond et trouver une ou plusieurs simulations de ce qui pourrait nous arriver de pire.
- Et tu en penses quoi ?
- Rien ne peut vivre ici ! J’ai déjà essayé différents montages : aucune chance qu’une société se développe à la surface de cette boule de lave.
- Alors, p’tit génie, qu’est-ce qu’on a à craindre ?
- Comme ça, je dirais : rien. Maintenant, faut voir… Vos capteurs enregistrent plus de trucs que ceux des civils, faut que je jette un oeil sur d’éventuels micro-météorites qui pourraient endommager les déflecteurs, sur des particules magnétisées, etc., etc.
Gascogne s’adjugea l’un des fauteuils libres et commença à le faire tourner. D’un doigt, il se tapotait le menton à un rythme effréné, ses yeux perdus dans le vide.
Nataly le regardait faire sans un mot. Même si l’adolescent lui portait sur les nerfs depuis les premiers jours, elle avait été frappée par sa vive intelligence et sa remarquable capacité à se projeter sur d’innombrables pistes. La semi-IA du Secondus pouvait en faire autant mais elle était incapable d’anticiper les réactions humaines, la chance ou le hasard : Lou prenait tout ça en compte. Avec un peu de maturité, il deviendrait un atout significatif pour réussir l’étape coloniale.
Pour cela, il faudrait encore qu’ils trouvent une planète.
Le lieutenant Bershoff suivait à peu près le même fil de pensée. Grâce aux stases, ils seraient tous encore assez jeunes et forts pour affronter ce nouveau défi. Ce garçon méritait sans doute de rester éveillé plus longtemps que la plupart d’entre eux, histoire de continuer à faire travailler ses méninges. Yvan sourit en imaginant la future société que Gascogne pourrait créer. Il se demanda même ce qu’il avait cherché à faire sur la planète volcanique de ce système.
Au moment exact où son regard tombait sur son écran tactique, une première alarme visuelle clignota.
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