Ne pas oublier Karachi

Publié le 01 juillet 2009 par Juan
Nous serons effacés, éteins, menacés, terrifiés. Pourtant, nous rappellerons, autant que faire se peut, cette affaire "Karachi". Quelques journalistes, quelques blogueurs, quelques citoyens s'entêteront peut-être. Les médias, dans leur immense majorité, sont passés à autre chose : Michaël Jackson, un avion qui s'écrase aux Comores, le travail le dimanche.
En 1994, trois sous-marins français furent vendus à perte au Pakistan. Jacques Chirac soupçonna que l'une des contre-parties de cette vente inutile était le versement de commissions occultes au premier ministre de l'époque. Le ministre du budget dudit premier ministre s'appelait Nicolas Sarkozy.


1. Edouard Balladur et Jacques Chirac devraient être entendus par les juges
L'un des deux juges d'instruction (tant que sa fonction existe encore) s'appelle Marc Trévidic. Il a simplement expliqué aux victimes d'un attentat de 2002 qui couta la vie à 11 inégnieurs français : «Nous allons mettre la piste Al-Qaida en sommeil. Le véritable mobile de cet attentat peut être lié à une vengeance sur fond de commissions promises par la France au Pakistan. Cette piste s'avère cruellement logique.» Sans surprise, les juges vont interroger prochainement Edouard Balladur et Jacques Chirac. On en saura davantage. Dimanche dernier, Edouard Balladur a contesté l'existence des rétro-commissions en usant de l'une de ces formules dont il a le secret :"Les comptes de ma campagne ont été établis, déposés, contrôlés et validés par l'organe compétent à cet effet" (...) "Toute référence à une utilisation autre que la rémunération, légitime d'ailleurs dans une certaine mesure, de ceux qui avaient joué un rôle dans ces tractations commerciales, est parfaitement infondée".
2. Un barbouze au centre des révélations.
Quand la piste des représailles du Pakistan parvient aux oreilles des magistrats, ces derniers interrogent les 14 et 19 mai dernier un curieux barbouze, Claude Thévenet, un ancien agent de la DST dont l'estimé Jean-Daniel Merchet a fait récemment le portrait. Les juges ont-ils été manipulés ? Thévenet certifie aux juges que l'attentat du 8 mai 2002 a été fomenté par les services secrets pakistanais. «Il s'agissait d'obtenir le versement de commissions non honorées», écrit-il dès le 11 septembre 2002. Cependant, l'affaire ne repose pas que sur la lui (cf. la fameuse note "Nautilus" rédigée par la DCN).
3. Un ancien policier se confie, un intermédiaire s'énerve.

Mediapart a interrogé Frédéric Bauer, un ancien policier de la DST. Ce dernier explique qu'il a été chargé en 1996 de prévenir les intermédiaires à la vente des sous-marins qu'ils ne toucheraient pas le solde de leurs commissions: "On a fait appel à moi parce que personne ne voulait le faire concrètement. Ce n'est jamais facile d'aller annoncer à un intermédiaire libanais qu'il ne va pas toucher tout son argent dans le cadre d'une vente d'armes... C'est un peu comme enlever la nourriture de la cage d'un lion". L'hebdomadaire l'Express a d'ailleurs retrouvé et interrogé Ziad Takieddine, l'un des intermédiaires cités dans l'affaire, et par M. Bauer : Takieddine nie avoir perçu des commissions, ni, a fortiori, d'en avoir rétrocédé une partie au camp Balladur dont il est réputé proche: "Monsieur Balladur ne mérite pas pareil traitement, injuste et malhonnête. Allez voir ses comptes... Je suis sûr qu'il n'y a rien, pas une trace de commission ! En France, les médias racontent n'importe quoi, ils ne vérifient rien."
4. Trente-trois millions d'euros de commissions "politiques": combien pour la France ?
D'après le Nouvel Observateur, quelques 83 millions d'euros de commissions ont été versés dans la suite de la vente des 3 sous-marins français au Pakistan : 50 millions versée par la Sofresa, société française, destinée au «ni veau opérationnel», c'est-à-dire, d'après le Nouvel Obs, au complexe militaro-industriel pakistanais. Le solde, soit 33 millions d'euros, était destiné, via une société off-shore luxembourgeoise, Heine SA, à des hommes politiques ou français.
«Les commissions devaient assurer le financement de la campagne Balladur, écrit l'ancien agent Thévenet. [...] Après l'échec de sa candidature, au printemps 1995, ce financement devait être transféré à l'Association pour la Réforme [sa propre structure, NDLR]. Les valises d'argent étaient déposées à la boutique Arij, située au rez-de-chaussée du 40, rue Pierre-Charron, avant de monter dans les étages, où Edouard Balladur avait installé ses locaux»
5. Comment masquer l'affaire ?
L'Etat de Sarkofrance n'a-t-il rien à dire sur cette affaire ? Hervé Morin, le ministre de la Défense, a promis de lever le secret défense sur cette affaire : « Pour éviter le fantasme, il faut jouer la transparence. (…) Sur la question pakistanaise, si les juges demandent la déclassification, ils auront la déclassification. (…) Pour l'instant, je ne sais même pas quel est le contenu des documents qui pourraient exister au sein du ministère de la Défense.» Mais pour enterrer un sujet, on nomme généralement une commission. Cette fois-ci, la procédure d'enterrement semble exemplaire : La conférence des présidents de l'Assemblée Nationale a décidé de confier une mission d'information à la Commission de la Défense, composée de 60 parlementaires, dont 39 de la majorité, 21 de l'opposition). Cette "Conférence des Présidents" est dominée par l'UMP (c'est normal, ils sont majoritaires), et définit l'opportunité de lancer des missions d'information.&alt;=rss