Jadis considérées avec soupçon, les primaires, ouvertes et « populaires », sont désormais très en vogue au sein du PS, comme la martingale – ou « l’heureuse surprise », pour reprendre le terme d’Arnaud Montebourg et d’Olivier Ferrand – qui permettra de sauver la vieille maison. Tout le monde s’y convertit, abandonnant au passage les réserves d’hier – le consensus se fait même sur des primaires co-organisées par plusieurs partis – et accréditant l’idée selon laquelle les critiques contre ce mode de désignation seraient le seul fait de poches de réaction bien enracinées, se situant du côté de la fabiusie ou de la hollandie.
Cette situation est une des pires que l’on puisse imaginer, même pour un défenseur des primaires (ce que je suis). D’un côté, l’adhésion aussi soudaine que générale, et irraisonnée, à un outil institutionnel, que l’on voudrait voir guérir tous les maux des socialistes. De l’autre côté, la mise en scène d’un clivage simplificateur et exclusif entre rénovateurs-quadra-pro-primaires et éléphants-apparatchiks-défenseurs-du-vieux-parti. Or on ne peut réduire le débat sur la rénovation du socialisme à ce « pour ou contre les primaires ». Ce d’autant plus qu’un débat de ce type peut vite devenir une façon biaisée de faire disparaître, l’air de rien, ce qu’il y avait de bon dans le PS – la reconnaissance des courants de pensée, l’élaboration collective de la ligne politique, la méfiance envers l’obsession présidentielle – au nom d’une adaptation à une « modernité » très discutable.
Lu avec ces précautions à l’esprit, le rapport de la « commission primaires » du PS, dirigée par Arnaud Montebourg et Manuel Valls, pose plusieurs problèmes qu’il faut affronter ouvertement.
Les primaires, de l’Atlantique à l’Oural ou au-delà ?
D’abord conçues comme limitées au seul PS , les primaires sont désormais, effet collatéral des européennes peut-être, très largement ouvertes à qui le voudra. Un « qui » plutôt flou puisque désigné tour à tour dans le rapport par les concepts de « partis de gauche », de « progressistes » ou encore de « gauche de gouvernement ». Ce qui recouvre des stratégies en vérité totalement différentes. Veut-on reproduire la gauche plurielle, résorber la fracture avec l’extrême gauche, tendre la main au MoDem, ou tout cela à la fois ? Est posée la question du périmètre, et donc de la définition, de notre camp politique. En l’esquivant, on risque de tomber dans l’opportunisme et une désarticulation idéologique totale.
Comment convaincre nos partenaires de nous faire « l’aumône » d’une primaire ?
La conjoncture politique post-européennes, jointe aux recompositions de plus long terme au sein de la gauche, ont changé notre rapport de force avec nos partenaires. Non seulement est-il difficile aujourd’hui d’aller jouer les fiers-à-bras dans les négociations avec eux, mais plus encore, leur intérêt pour les rapprochements que nous leur refusions naguère s’est sans doute également émoussé. Il va falloir solidement argumenter pour convaincre des Verts à 15%, par exemple, de se joindre à des primaires organisées par nos soins. Une condition de réussite est l’honnêteté de la compétition, pour qu’elle n’ait pas l’aspect d’une investiture masquée et réglée d’avance du seul candidat du PS. Cela nécessite que le PS se mette réellement en danger. Reste ensuite la motivation. Il faut créer des mécanismes compensant la perte de la manne financière et médiatique que constitue la participation à la présidentielle pour un parti. Cela implique une négociation très claire, et préalable, sur la répartition des financements de campagne et du temps de parole (donc du porte-parolat) entre tous les parti participants à la primaire. Accord qu’il faut arrêter dès avant le début de la désignation pour que tout soit transparent et que nul ne puisse en tirer prétexte pour se désolidariser du bloc politique constitué, une fois le candidat choisi.
La ligne politique peut-elle survivre au projet self-service ?
Pour en finir avec l’instrumentalisation des idées et les projets-patchwork, le rapport propose que l’on tranche à la fois sur un candidat et le programme qu’il porte. Le rôle intellectuel du parti devient alors l’organisation de conventions de travail libérées de toute nécessité de trancher, et ne servant plus qu’à produire des idées nouvelles dans lesquels viennent piocher les candidats. Il n’y aurait plus vraiment de ligne politique du parti. On voit ce qu’il y a au bout du chemin : l’externalisation de la fonction de production d’idées. Car s’il n’y a plus de projet contraignant, les candidats n’auront même pas intérêt à participer au « pot commun » des conventions nationales ; il leur sera plus utile de travailler chacun de leur côté, ou de louer les services de think tanks pour avoir la primauté sur des propositions « innovantes ». Qui plus est, la pluralité intellectuelle serait encore amoindrie, puisque selon une sorte de principe « the winner takes it all », le vainqueur de la primaire peut imposer son programme au parti ! On peut pourtant envisager des alternatives, comme celles d’un système mixte où de grandes orientations contraignantes seraient votées par les militants, et définiraient ce qui reste à trancher entre les candidats.
Quel avenir pour le PS …
Si on essaie de prévoir l’instanciation pratique et les conséquences des primaires, on arrive vite à la conclusion qu’il est probable qu’elles aient l’effet d’une bombe sur les grands principes actuels du parti. C’est d’abord le premier secrétaire qui est effacé avec un tel système, entièrement conçu pour donner un maximum de légitimité au vainqueur de la primaire (quelle légitimité reste-t-il au chef élu des militants dans ce cadre ?). Son rôle serait donc à revoir, soit surintendant chargé du bon déroulé des primaires, soit président de régime parlementaire, sage sans réel pouvoir décisionnel. C’est dans un deuxième temps tout le fonctionnement par courants qui devient obsolète. Tout pousserait les militants à s’organiser derrière des individus, en cohérence avec la logique des primaires. On risquerait de voir en conséquence une balkanisation du parti bien pire que celle que nous connaissons actuellement.
… et pour ses militants ?
On dit peu de choses du devenir des militants, hormis le fait qu’ils deviennent les agents recruteurs et les organisateurs de la primaire. Quel intérêt aurait-on encore, dans ce système, à adhérer effectivement et ne pas se contenter de s’inscrire pour participer aux seules primaires ? Il faut donner un donner nouveau contenu au concept de militant. Réciproquement, il faudrait réfléchir au statut que l’on donne à la nouvelle population de « sympathisants enregistrés » institutionnalisée par la possibilité de s’inscrire sur le registre des primaires. En l’état, ils risquent surtout de faire une sorte de concurrence déloyale aux militants.
Renouvèlement ou adoubement élargi des mêmes élites ?
Le problème de la gauche n’est pas seulement son incapacité à se trouver un chef : il est aussi sa propension à fonctionner en circuit fermé, à recycler sans cesse les mêmes personnels politiques, très largement issus du sérail des appareils. Or si le système décrit dans le rapport permet d’apporter du sang frais à la base, il reste très strict sur les normes pour candidater à la magistrature suprême, rendant l’onction d’un parti organisateur obligatoire. Si on va jusqu’au bout de la logique d’ouverture, pourquoi ne pas rendre possible des candidatures directement issues du mouvement social, voire de la société civile ?
Des limites de la conception des primaires comme remède miracle
Le rapport de la commission primaires est une somme intéressante. Mais il présente le double défaut de ne pas tirer toutes les conséquences de ses propositions, et de ne pas toujours dire ce qu’il vise au bout du compte. Le parti qu’il dessine en creux – machine électorale pour la présidentielle, à laquelle l’adhésion est très lâche, et dont les prérogatives entre deux scrutins sont réduites à de l’intendance – ressemble fort à une sorte d’adaptation française du parti démocrate américain, qui exacerbera autant qu’elle l’institutionnalisera la course à l’Élysée. Mais les États-Unis ne sont pas la France, et le militantisme politique européen, et français en particulier, a ses particularités qu’on ne peut ignorer. Les militants de gauche, eux, ne demandent pas le démantèlement du parti socialiste ; ils souhaitent d’une part sa revivification, et d’autre part qu’un rassemblement le plus large possible entreprenne de répondre à une seule grande question : qu’est-ce qu’être de gauche aujourd’hui ? Le vrai débat n’est donc pas « pour ou contre les primaires ». Et c’est même uniquement si l’on a une idée claire de la gauche et du parti que l’on veut que l’on pourra, ensuite, concevoir des primaires qui soient un vrai outil pour le changement, et non pas un placebo incontrôlé qui affaiblit le malade autant qu’il semble le soigner.
Romain Pigenel