Funkyss a pointé une contradiction dans mon précédent billet sur la burqa. Le sujet étant touffu, j’en fais un billet.
Voici donc son commentaire
“Bon, du coup, à propos de ce malaise :
les femmes qui portent la burka (et par extension, dans une réflexion féministe, les femmes), on les considère comment ? Comme des êtres totalement responsables de leurs actes, qu’elles assument, même hors de la loi, ou comme des êtres soumis à de telles pressions (conscientes ou inconscientes) qu’elles ne peuvent pas être sanctionnées pour ce qu’on les oblige (consciemment ou inconsciemment) à faire/porter ?
Non, parce que d’un côté ou de l’autre, les idées/faits qui en découlent ne sont plus du tout les mêmes. C’est une vraie question que je me pose. Sérieusement.”
1. Dans le cadre de la loi.
La loi considère déjà qu’il y a des cas ou les gens ne sont pas en mesure de juger pleinement d’une situation.
Nicole-Claude Mathieu relève le cas suivant. Une femme est enfermée chaque soir dans un coffre par son mari. Chaque matin celui-ci procède à un examen vaginal afin de vérifier si elle ne l’a pas trompée pendant la nuit. Elle décide un jour de porter plainte puis retire sa plainte en arguant qu’elle était consentante. La justice a considéré qu’eu égard aux circonstances, la femme n’était pas apte à juger de sa situation et a condamné le mari.
Il y a maintenant une loi plus générale. Dans le cas de violences conjugales si la personne retire sa plainte mais que les éléments sont suffisants on peut tout de même poursuivre le conjoint violent.
2. Au niveau psychologique
On connait les phénomènes d’emprise qui peuvent être pris en compte dans la loi ; conjoint violent, sectes etc.
3. Au niveau féministe
C’est là que l’affaire se corse en effet.
Déjà partons du principe qu’on ne peut pas dire « les femmes ». Les raisons de porter la burqa sont multiples. Dans le cas très précis, ou une femme serait menacée d’être battue ou tuée si elle ne la porte pas, il est évident qu’elle est victime tant au niveau féministe que légal. Ecartons donc ce cas.
Réfléchissons donc aux autres cas. Cas des converties qui veulent faire leurs preuves, femmes embobinées par des discours machistes, femmes qui ont mené leur propre réflexion et ont décidé qu’une femme doit se couvrir femmes qui mènent un combat politique etc.
Sont elles responsables [de porter un vêtement véhiculant un discours sexiste] ?
Disons déjà qu’il est difficile, même dans le féminisme, de sortir de l’infantilisation des femmes. Nous tentons toujours “à agir pour le bien de” et tendons parfois à considérer les femmes comme d’innocentes victimes de méchants hommes.
Prenons un exemple courant.
Une femme qui passe ses journées à faire le ménage, pendant que le mari glandera dans son fauteuil. Nous aurons rapidement tendance à considérer le mari comme un abominable macho et la femme, qui peut parfois refuser qu’il touche un balai (”je fais mieux” “pas un boulot d’homme”) comme une victime du patriarcat et de cet homme en général.
Peut-être… mais c’est en ce cas considérer que la femme n’est pas capable de penser et d’agir. Si nous considérons même qu’elle est trop engluée dans des schémas inconscients patriarcaux – ce que ne serait pas l’homme qui aurait une conscience de classe – nous risquons rapidement de penser qu’elle est inapte à penser hors de ses schémas… et donc qu’il faut penser pour elle. N’est ce pas ce qu’a fait le patriarcat pendant des millénaires ?
A penser cela – que la femme qui passe son temps le balai à la main est une victime manipulée, par des discours, son mari, le patriarcat – nous courrons le risque qu’on nous rétorque qu’elle l’est en permanence et n’est donc pas capable de choix conscients et réfléchis de manière générale.
C’est le danger du féminisme – ou de tous les militantismes –que de s’imposer comme un groupe qui a acquis une conscience de classe et sait mieux que la classe qu’elle défend, ce qui est bon pour elles. Rappelons que les premières féministes socialistes ont refusé de se battre au départ, pour le droit de vote des femmes. Elles craignaient en effet que les femmes bourgeoises ne votent comme leur mari ou leur curé le leur conseillerait et favorisent donc des partis de droite.
Dans une réflexion plus générale, appartenir à une classe dominée n’empêche pas de réfléchir et d’être aussi une victime à des moments t de sa vie.
Maintenant doit on condamner ces femmes si on est féministe ?
J’aurais déjà envie de dire qu’elles se condamnent toutes seules. Leur choix vestimentaire est évidemment infiniment sexiste. Comme je le précisais dans le précédent texte, il n’est que la conséquence de discours millénaristes visant à culpabiliser les femmes. Ca n’empêche qu’elles entérinent en effet ces discours ; mais elles en restent les premières victimes. Ca n’est pas l’apparition de la burqa en France qui fait qu’il y a 50 000 viols par an ou 4 femmes tuées chaque mois par leur conjoint. Ce sont les discours légitimant le viol, l’enfermement des femmes, le fait qu’il y ait des vierges et des putains. Bref des discours certes repris par tous les monothéismes mais qui leur sont aussi antérieurs.
La question du choix a suscité de nombreuses reflexions féministes et l’on emploie le concept d’agentivité. Gail Pheterson l’utilise par exemple pour les prostituées indiennes qui, pour échapper à un mariage forcé, la captation de leurs biens, choisiraient de se prostituer dans un bordel. L’agentivité c’est le fait d’être auteur d’une action, ce qui ne t’empêche pas pour autant d’être une victime. Notre prostituée indienne a fait le choix d’être prostituée, parce qu’elle a considéré que c’était « moins pire » que d’être mariée, sans argent, ca n’enlève pas qu’elle est aussi victime.
Mais alors pourquoi ne pas les punir ?
1. Parce que ceux qui ont posé ce débat sur la table, les ont présenté d’emblée comme des victimes. Si ce sont pour eux des victimes, alors ils ne peuvent les punir.
2. Parce qu’il me parait très problématique de contrôler l’habillement des femmes, pour quelque raison que ce soit. La loi sur le racolage passif nous a déjà expliqué qu’il ne fallait pas être trop dénudé, cette loi là nous explique qu’il ne faut pas être trop habillé.
toutes les sociétés ont toujours procédé à la limitation des mouvements des femmes. Il ne fallait pas sortir “en cheveux”, il ne fallait pas sortir seules, il ne fait pas mettre de burqa.
3. Parce que même si ce choix est conscient, réfléchi, il n’en demeure pas moins qu’elles sont victimes de ce choix. Ce choix les rend visibles – lors qu’il est censé les invisibiliser – et pas forcément dans le bon sens.
En clair on punirait les femmes en burqa parce qu’elles sont visibles et on laisserait les discours justifiant cet habillement ? Sont ce les femmes en burqa qui détiennent le pouvoir ?
Cette loi ne punirait que les femmes et les filles puisque ce sont elles, et elles seules, qui portent la burqa. Il est totalement impossible dans une réflexion féministe d’exonérer les hommes de leurs responsabilités en la matière. Là encore les femmes sont présentées comme source exclusive du problème ce qui me parait être un continuum parfait de ce que symbolise la burqa. Sarkozy a présenté la burqa comme symbole de la soumission des femmes. Soit. En ce cas, que dire des discours légitimant cette burqa ?
c’est une vieille antienne patriarcale que de tenir les femmes comme seules responsables de leur sort. “Si tu as été violée alors que tu étais dehors à 23 h c’est de ta faute. “Si tu portes un vêtement sexiste, c’est de ta faute”. sans exonérer les femmes qui le portent par choix de toute responsabilité, ce qui serait à mon sens antiféministe, c’est être en plein machisme que de les considérer comme seules responsables.