L'emprunt marketing

Publié le 29 juin 2009 par Pierre Gonzva

Aucune intention péjorative dans ce titre. Les questions autour du grand emprunt national, qui sera surnommé emprunt Sarkozy, portent essentiellement sur des thèmes de marketing : comment le vendre, à qui le vendre, quels concurrents, quelles références historiques. En 1993, il y a 16 ans déjà, Edouard Balladur lançait un grand emprunt, dont l'encours dépassa les 100 milliards de francs, plus que prévu. L'aspect plébiscitaire de l'exercice n'est donc pas anodin. L'emprunt Balladur a bénéficié d'un avantage particulier, en ce sens qu'il pouvait être utilisé pour payer les titres de sociétés privatisées, à sa valeur nominale, même quand la valeur de marché était inférieure au pair, sous réserve toutefois d'avoir acquis l'emprunt lors de l'émission. Cela a permis de limiter fortement le montant à rembourser en cash. Plus avant, en 1973, Giscard, peu inspiré, a lancé un emprunt indexé sur l'or, quelques mois avant que l'étalon or disparaisse et que le prix du métal jaune s'envole. L'Etat a remboursé plus de vingt fois le montant initial.L'argument principal mis en avant à ce jour semble être l'utilisation pour les investissements d'avenir. Idée séduisante, qui vient pourtant contredire le principe général de non affectation des recettes aux dépenses, principe encore réaffirmé dans la LOLF (loi organique de loi de finance).Sur le plan concurrentiel par rapport aux autres émissions de l'Etat, la question ne se pose pas vraiment. Il faut bien se rendre compte que l'Etat n'a aucun problème pour emprunter sur les marchés tout ce dont il a besoin pour couvrir le déficit budgétaire et rembourser les emprunts venant à échéance. C'est bien ça le problème, puisque cette facilité à émettre prive l'Etat d'une puissante incitation pour réduire les déficits. J'ai déjà eu l'occasion de traiter ce sujet il y a quelques mois. A quel taux et sur quelle durée émettre ? Difficile à mon avis d'émettre sur 10 ans, cela reviendrait à faire assumer le remboursement par le successeur de Sarkozy (en supposant qu'il ne se représente pas en 2017). Par ailleurs, une telle durée est bien longue pour un épargnant, qui considérerait de plus que le remboursement est repoussé à un avenir lointain et flou.Si l'on émet sur 5 ans, il convient de regarder le taux de rendement des OAT échéance octobre 2014 actuellement : 2,91%. Je vois mal comment le Trésor pourrait émettre à un taux significativement supérieur au taux du marché, sauf à 1) ne pas rendre l'emprunt négociable, ce qui semble peu vraisemblable car sans liquidité sur le marché secondaire l'émission ne se placerait pas; 2) faire un cadeau significatif aux épargnants du fait de l'arbitrage qui remettra le prix en ligne avec le marché. Sur 5 ans, la sensibilité est de l'ordre de 4.5, ce qui veut dire que si l'emprunt est émis avec un rendement supérieur de 1% au taux du marché, son cours augmentera rapidement d'environ 4.5% dès la cotation sur le marché secondaire : autant de gagné pour l'investisseur, autant de perdu pour l'Etat.Faisons donc l'hypothèse d'un emprunt coté, émis au prix du marché, donc avec un taux de 3% environ (niveau actuel, le taux à 5 ans début 2010 sera différent). 3%, c'est plus que le livret A, mais ça ne fait pas beaucoup comme taux facial, si l'on compare aux 6% du Balladur 1993, aux 4.5% que donne EDF, ou aux 4% que promettent encore les fonds en euros de l'assurance-vie, laquelle bénéficie en plus d'un avantage fiscal.Un emprunt indexé sur l'inflation ? Il aurait un taux facial de 1.5% environ, avec la difficulté d'expliquer le mécanisme d'indexation, qui complique quand même le produit.Un avantage fiscal ? On entend déjà les accusations de cadeau aux riches, qui seuls peuvent souscrire, alors que les pauvres ont du mal à joindre les deux bouts.Dernière question : d'où viendra l'argent ? Si c'est de l'épargne supplémentaire au dépens de la consommation, c'est mauvais pour l'activité économique. Si c'est de la réallocation d'actifs, c'est le livret A, donc le financement du logement social, qui en pâtira, ainsi que l'assurance-vie en euros, laquelle investit en grande partie dans des ... emprunts d'Etat !Décidément, il est bien plus facile de s'endetter directement sur les marchés, auprès des professionnels, plutôt que de rechercher l'approbation et le soutien du peuple.