Huis clos…pas tant que cela

Publié le 28 juin 2009 par Memoiredeurope @echternach

Les éditions Allia ont eu la très bonne idée de rééditer des textes courts, inconnus en français et qui donnent une idée du vrai travail qu’un éditeur peut effectuer sur les marges, quand le vent de la mode souffle autour de lui comme un damné.

Tommaso Landolfi est mort en 1979. A quelques encablures de l’après guerre, en 1945, il publie un texte d’une centaine de pages, un peu improbable, dont le titre laisse le lecteur devant une énigme : « Les deux vieilles filles ». 

Si on voulait une seule bonne raison de donner envie de lire ce texte, avant même la qualité de son contenu et de son écriture, c’est qu’il est savoureux. Je veux dire qu’il se savoure comme un court récit de Maupassant plongé dans le secret des maisons bourgeoises.

Ici, deux dames d’un certain âge, enfermées dans le huis clos d’un appartement où leur mène n’en finit plus de mourir, forment, à sa disparition inévitable, un quatuor avec une bonne devenue une sorte de deus ex-machina domestique et…un singe en cage.

Rien de plus sain et épris de sainteté, comme on s’en doute. D’autant plus que l’église ne néglige pas ses visites. Sous toutes les formes incarnées : celles d’émissaires de nonnes attentives à recevoir leurs bonnes oeuvres et de monsignore(s), placés à différents niveau de la hiérarchie ecclésiastique, dont les visions et les stratégies, quand elles ne rejoignent pas celles de leurs consoeurs cloîtrées, reflètent les confrontations et les controverses d’une Démocratie Chrétienne qui a dû arbitrer pendant des années entre la compromission fasciste et le compagnonnage avec les communistes.

Quelle peut donc être l’intrigue qui vient se placer dans ce décors où la gloire républicaine s’éteint sous l’accumulation des passions mortes ? : 

« Tout le quartier résonnait de noms de victoires italiennes, telles que Montebello, Castelfidardo, etc., et ces rues débouchaient sur une place nommée, comme il se doit, de l’Indépendance, ou bien se déployaient autour d’elle. Pourtant toute cette gloire était déplacée, pour ne pas dire franchement inconvenante, et n’arrivait pas de toute manière à troubler la tranquille, digne et quelque peu somnolente vie des hommes et des choses. »

Un petit, tout petit grain de sable nommé Tombo vient se placer là, un singe dont la cage n’est pas si étanche que cela. Et les folies nocturnes de Tombo qui troublent la tranquillité des sœurs - les religieuses et les propriétaires de l’animal.

Que croyez-vous donc qu’il arriva ? La punition, bien entendu, comme dans la vie démocratique normale. Mais qui donc va rendre la justice divine et la justice terrestre dans cette petite république hors norme ?

Je laisse chacun prendre plaisir à ce merveilleux texte qui pourrait donner lieu à une scénographie ou un court métrage. Tout y est : des notations, des bruits et des choses, des êtres et de leurs malheurs étriqués. Et des animaux qui n’y peuvent rien !

« Et quand, qui sait comment, une pie grièche arrive sur l’un de leurs arbres, ses cris résonnent comme ceux d’un enfant dans une maison vide ou frappée de malheur, et même l’air de ce monde somnolent en est tout ébranlé. Mais c’est normal, une pie moqueuse et exubérante ne peut inspirer que de la sympathie à une assemblée de corneilles ; et celle-ci regagne donc rapidement ses champs cultivés, ses chênes et ses pommiers. »

Tommaso Landolfi. Les deux vieilles filles. Traduit de l’italien par Monique Baccelli. Editions Allia mars 2009. Le due Zittelle 1945, Il Mondo.Au fait, on redonne à Paris la pièce intitulée « Talking Heads » de Alan Bennett, mise en scène par Laurent Pelly (jusqu’au 18 juillet au Théâtre Marigny). C’est cette pièce – écrite initialementpour la BBC - qui me fournit l’illustration de ce texte. De l’Italie post fasciste à l’Angleterre de Margaret Thatcher des courts circuits étaient probables.