Je suis un fan absolu de Lydie Salvayre. J'attends avec impatience, et aussi inquiétude, de peur d'être déçu, l'occasion de lire son prochain livre, qui sort à la rentrée. Dans l'intervalle, il est permis de revenir sur le dernier paru, maintenant disponible en poche, Portrait de l'écrivain en animal domestique. Lydie Salvayre y exploite son sens de l’ironie sans autre retenue que celle du style. Le sien, avec sursauts et coupures, langue vulgaire et langue châtiée accolées dans des effets comiques irrésistibles auxquels on cède sans forcer, dans une sorte de béatitude.
Un businessman, roi du hamburger et de la restauration rapide, sacré leader le plus influent de la planète, engage un écrivain (une femme) pour écrire sa biographie. Ou plutôt son hagiographie, voire sa bible. Tobold a recruté très simplement son faire-valoir: il a regardé les seins et les jambes d’un regard froid dans lequel il n’entrait pas le moindre désir. Tout simplement, le projet de livre devant rester secret, l’écrivain deviendrait officiellement escort-girl, ce qui suppose un minimum de… qualités esthétiques. On verra qu’elle est assez crédible dans le rôle pour exciter Bill Gates himself.
Elle entre dans la cage au lion – il n’en reste qu’un, il a bouffé les autres. Elle est de gauche, il est le chantre du libéralisme. Elle s’intéresse aux autres, il ne s’intéresse qu’à lui. Elle est humble et modeste, il est gonflé d’orgueil. Elle n’a jamais eu de succès, il ne connaît que ça. On a rarement vu association à ce point contre nature.
Et pourtant, puisqu’elle a accepté, et malgré des colères rentrées qui lui font presque détester le luxe dans lequel elle vit désormais (tout en reconnaissant qu’elle l’apprécie), elle prend les notes que Toblod lui dit de prendre. Tout en insérant quelques remarques de son propre cru. Lignes négatives qui n’apparaîtront pas dans la version officielle du livre commandé, cela va sans dire. Mais elle apprend ainsi à vomir les couleuvres qu’on tente de lui faire avaler toute la journée. Et à explorer les failles du patron, car il n’est pas, même lui, bâti d’un bloc.
L’économie de marché est impitoyable. Elle broie tout sur son passage. Pourtant, l’écrivain résiste. Bavarde avec Cindy, la femme de Tobold, sa meilleure collaboratrice à condition de ne prendre aucune initiative. Cindy a permis à son mari de développer sa toute première entreprise, un peep-show dont elle était la strip-teaseuse vedette. Elle est en extase devant la personnalité de Tobold. Comme tout le monde. Tout le monde? Pas tout à fait. Il est aussi détesté que craint.
L’animal domestique du titre a gardé, heureusement pour nous, un peu de sa sauvagerie. Il aboie et il mord. La laisse est serrée, mais il est possible de se venger des meurtrissures. Avec un livre comme celui-ci, un roman qui oppose l’humour au cynisme et la dérision aux certitudes.