Jaïre, « un chef de synagogue », vient tout juste d'apprendre la pire des nouvelles qu'un père aimant peut recevoir : « Ta fille vient de mourir. » Avec ces quelques mots s'effondre son espoir comme un château de sable balayé par une déferlante. L'angoisse d'un avenir sans sa fille chérie, le vide laissé par sa mort, tous ces sentiments s'imposent à lui comme les portes d'une prison. C'est à se moment-là, probablement le plus dramatique de sa vie, que Jésus fixe son regard sur lui, peut-être lui met la main sur les épaules, et puis lui dit : « Ne crains pas, crois seulement ».
Des paroles étranges, n'est-ce pas ? La réalité de la perte de sa fille est inexorablement évidente, indéniable. Et pourtant Jésus lui dit que la foi en la bonté de Dieu peut tout arranger. Il lui dit que la foi, cette force invisible du croyant, est plus puissante que les tempêtes de la vie dans un monde déchu.
Si nous pouvions bien retenir cette seule leçon, cela pourrait transformer notre vie. C'est la foi qui a mis Jaïre à genoux devant le Seigneur, et c'est grâce à cette foi que sa fille est ressuscitée. C'est la foi qui a propulsé la femme qui avait des pertes de sang à toucher les vêtements de Jésus, malgré le risque qu'elle prenait, car la loi de Moïse la déclarait impure, et ainsi elle rendait Jésus aussi rituellement impur, s'exposant ainsi au châtiment. C'est la foi qui l'a guérie et lui a donné la paix, après douze longues années d'incertitude et d'angoisse.
La foi, c'est la confiance en Dieu malgré tout, en dépit des apparences (la fille de Jaïre était déjà morte), en dépit de la vision limitée de notre raison naturelle (les médecins avaient déclaré que la maladie de cette femme était incurable). C'est cette naïveté de la foi d'un enfant, la foi en la bonté, la sagesse et la puissance de Dieu, que le Seigneur désire pour nous ; c'est cette foi qui libère en lui la puissance de son amour dans nos vies.
Comme Benoît XVI le disait récemment, la foi nous permet de nous rendre compte que nous sommes « entre les mains du plus fort », « entre les mains d'une Toute-Puissance d'amour ».
En parlant de la Pentecôte il dit :
« ... l'Esprit Saint vainc la peur. Nous savons que les disciples s'étaient réfugiés au Cénacle après l'arrestation de leur Maître et y étaient restés enfermés par peur de subir le même sort. Après la résurrection de Jésus, leur peur ne disparaît pas à l'improviste. Mais voilà qu'à Pentecôte, lorsque l'Esprit Saint se posa sur eux, ces hommes sortirent sans peur et commencèrent à annoncer à tous la bonne nouvelle du Christ crucifié et ressuscité. Ils n'avaient pas peur, parce qu'ils se sentaient entre les mains du plus fort. Oui, chers frères et sœurs, l'Esprit de Dieu, là où il entre, chasse la peur; il nous fait savoir et sentir que nous sommes entre les mains d'une Toute-Puissance d'amour : quoi qu'il arrive, son amour infini ne nous abandonne pas. C'est ce que montrent le témoignage des martyrs, le courage des confesseurs de la foi, l'élan intrépide des missionnaires, la franchise des prédicateurs, l'exemple de tous les saints, certains même adolescents et enfants. C'est ce que révèle l'existence même de l'Eglise, qui, en dépit des limites et des fautes des hommes, continue de traverser l'océan de l'histoire, poussée par le souffle de Dieu, et animée par son feu purificateur. Avec cette foi et cette joyeuse espérance, nous répétons aujourd'hui, par l'intercession de Marie: "Envoie ton Esprit, Seigneur, qu'il renouvelle la face de la terre". »
C'est ce que nous voyons si souvent dans la vie des saints, qui ont exercé leur foi jusqu'à ce qu'elle les
remplisse d'une espérance de d'un courage surnaturels. Un exemple parmi tant d'autres : saint Jean Sarkander. Après la mort de sa jeune épouse, décédée sans lui laisser d'enfants, il fut
ordonné prêtre et il servit vaillamment comme curé de paroisse dans la République tchèque au début du 17° siècle. Ce fut une époque troublée, en particulier à cause de la Guerre de Trente Ans, un
conflit horrible qui opposait les Protestants et les Catholiques et qui déchirait l'Europe. Quand les combats atteignirent la région où se trouvait sa paroisse, le Père Jan s'enfuit en Pologne
pour éviter d'être capturé par les armées protestantes. Mais il ne put s'absenter longtemps, et après cinq mois il retourna en République tchèque pour protéger son petit troupeau bien-aimé. Peu
de temps après son retour, une armée polonaise, constituée de soldats catholiques arriva, et une bataille sanglante parût inévitable. Le Père Jan voulut désespérément éviter l'horrible effusion
de sang. Mettant sa confiance dans la puissance de l'amour du Christ, il marcha vers le camp de l'armée polonaise, portant un ostensoir avec le Très-Saint-Sacrement, s'en servant à la fois comme
d'un bouclier pour se protéger et d'un châtiment pour les forces polonaises. Il obtint une entrevue avec le commandant polonais, et c'est ainsi qu'il parvint à éviter
l'affrontement.
Mais voilà que le baron protestant qui mena la rébellion arrêta le futur saint, l'accusant d'espionnage, l'accusant faussement d'être l'initiateur de l'arrivée de l'armée polonaise. Le Père Jan fut emprisonné, sommé de renoncer à la foi catholique et de briser le sceau de la confession pour divulguer des informations secrètes concernant les officiers ennemis. Il fut torturé, battu et brûlé, mais fidèle à ses devoirs de prêtre jusqu'à la mort. Défiant une armée sans autres armes que l'Eucharitie et le sceau protecteur de la confession, même après des semaines de torture : voilà la courage qu'une foi mûre donne en nous libérant de nos peurs égocentriques.
« Ne crains pas, crois seulement. » Ce sont ces mêmes paroles que Jésus nous dit aujourd'hui. Il sait que la vie dans ce monde déchu est comme un pèlerinage dans un paysage effrayant. Et pourtant, avec lui, nous pouvons vaincre tous les dangers. Jésus nous dit : « N'ayez pas peur de ce que les autres vont penser de vous : suivez le chemin que je vous enseigne ; n'ayez pas peur de l'échec : suivre la volonté de Dieu, voilà l'unique voie d'une réussite définitive ; n'ayez pas peur de changer vos habitudes afin de suivre Dieu de plus près : ce qu'il a prépare pour vous est tellement plus grand que vos rêves les plus audacieux, que vos désirs les plus secrets.
La crainte, la confusion, le manque de confiance en Jésus : voilà ce qui fait des nœuds dans nos âmes, ce qui cause des souffrances inutiles et nous empêche de faire l'expérience de la puissance vivifiante de la grâce de Dieu.
Si la peur a encore un si grand pouvoir sur nous, c'est parce que notre foi est immature. Il nous faut la faire grandir, et nous pouvons la faire grandir en l'exerçant, tout simplement. La manière la plus facile pour l'exercer est d'intensifier notre vie de prière, de prendre plus de temps pour être seul avec Dieu chaque jour, pour l'écouter, lui parler, lire et méditer les Saintes Ecritures, et puis de l'entretenir dans le silence de nos cœurs tout au long de nos activités quotidiennes. Chaque fois que nous prions sincèrement, en employant nos propres mots ou ceux des autres, nous exerçons notre foi, et cet exercice nous permet de la faire grandir, comme un muscle.
Et plus la foi grandit, plus nos craintes s'évanouiront, jusqu'à ce que, nous aussi, nous puissions expérimenter la toute-puissance vivifiante de l'amour de Dieu, comme Jaire, transformant les situations les plus désespérées de notre vie en un triomphe de la grâce.
Comme Benoît XVI le disait encore dernièrement :
« La prière est une réalité : Dieu nous écoute et, quand nous prions, Dieu entre dans nos vies, il se rend présent parmi nous, travaille parmi nous. La prière, c'est une chose très importante qui peut changer le monde, parce qu'elle rend présente la puissance de Dieu » (Benoît XVI durant des questions-réponses avec l'enfance missionnaire, le 5 juin 2009).
En ce premier jour d'une nouvelle semaine, au moment où Jésus renouvelle son engagement inconditionnel envers nous, renouvelons aussi le nôtre pour développer notre vie de prière. Rien ne lui sera plus agréable.