Il peut paraître étrange de parler de sensation en évoquant la coupe Stanley remportée par les Pittsburgh Penguins aux dépens des Red Wings de Detroit. La formation de Mario Lemieux se présentait en effet, en début de saison comme l’un des principaux favoris à la conquête du titre suprême, sortant tout juste d’une finale perdue face à ces mêmes Wings, et étant toujours emmenée par ses deux étoiles, Sidney Crosby et Evgeni Malkin. Pourtant, après une première partie d’exercice cataclysmique, qui les voyait à la mi-février végéter à la dixième place de la conférence Est, et remercier leur entraîneur Michel Therrien, remplacé par l’anonyme Dan Bylsma, issu des ligues mineures et novice à ce niveau de la compétition, plus personne ne faisait d’eux, à raison, un prétendant à la victoire finale. Les Pens ont pourtant su se remobiliser, et trouver les ressources nécessaires à la réalisation d’un authentique exploit. Retour sur ce fabuleux voyage qui a emmené Crosby et cie sur le toit de la planète hockey.
Le 15 février 2009 est une date à marquer d’une pierre blanche dans l’incroyable saison des Penguins. Ce jour-là, le manager général Ray Shero décide de confier les rennes de l’équipe à Dan Bylsma, initiative qui va créer un véritable électrochoc dans le vestiaire : en quelques semaines, Pittsburgh trouve un second souffle, finit la saison en trombe (présentant une fiche de 18-3-4 en vingt-cinq rencontres), et décroche le précieux sésame pour les séries, en terminant à la quatrième place de la conférence Est. En vue des play-offs, Shero procède à quelques modifications dans son effectif, signant avant la date limite des transferts le vétéran Bill Guérin (38 ans), englué dans les bas-fonds du classement avec les New York Islanders, Chris Kunitz d’Anaheim, et Craig Adams de Chicago, trois joueurs ayant déjà soulevé la coupe Stanley. Un soupçon d’expérience destiné à encadrer ses jeunes loups aux crocs acérés, et qui replace Pittsburgh comme un outsider sérieux dans une Conférence Est particulièrement homogène et indécise.
- Poignée de main entre Ovy et Crosby à l’issue du match 7
Au premier tour des séries se présentent devant eux les redoutables Flyers de Philadelphie, avec qui ils ont terminé à égalité de points en fin de saison régulière (99), pour un derby pennsylvanien qui sent la poudre. Les Pens se détachent rapidement 3-1, et malgré une belle réaction d’orgueil de leurs adversaires, ils concluent la série à l’extérieur, sans avoir réellement tremblé. Ils sont opposés au tour suivant les Washington Capitals du MVP Alex Ovechkin, dans un duel qui oppose deux escouades en plein renouveau, qui voient s’affronter sur la glace les trois meilleurs marqueurs de la saison régulière, et a fortiori les trois joueurs les plus doués de la nouvelle génération. Le combat est âpre, intense, frénétique par moments. Les deux belligérants se rendent coup pour coup, et un jeune gardien russe de tout juste 21 ans, du nom de Semen Varlamov, exécute des prouesses devant son filet, et fait tourner les têtes de l’armada offensive de Pittsburgh. N’ayant pu se départager au terme des six premières rencontres, les équipes jouent leur saison lors d’un septième match décisif, sur la glace des Caps. Donnés favoris, les locaux implosent pourtant rapidement devant la vista, la puissance et le rythme imposés par leurs adversaires, qui ont déjà plié la partie à mi-match en menant 5-0. Les hommes de Bylsma l’emportent finalement 6-2, et gagnent le droit de défendre leur titre à l’Est, face aux surprenants Carolina Hurricanes, tombeurs successivement de New Jersey et de Boston, les deux formations les plus en verve en fin de saison sur la côte Atlantique. Mais la machine est désormais bien lancée, et c’est un véritable ouragan qui va se déchainer sur les Canes au cours de cette série. Quatre petits matchs, au cours desquels les joueurs de Raleigh sont littéralement surclassés par leurs homologues (20-9 sur le total de la série), n’effleurant jamais l’espoir de remporter ne serait-ce qu’une manche, et ne donnant simplement pas l’impression d’évoluer dans la même cour que les Pens, suffisent à ces derniers pour accéder pour la deuxième année consécutive à la finale de la Coupe Stanley. Finale qui donne d’ailleurs lieu à un remake de la saison précédente, puisqu’ils se trouvent confrontés une nouvelle fois les Detroit Red Wings, qui se sont montrés souverains à l’Ouest, pour l’obtention du titre suprême.
- Evgeni Malkin
Véritable opposition de style entre la juvénile garde des Pens et les expérimentés Wings (la formation ayant la moyenne d’âge la plus élevée de la ligue), les faveurs des pronostics vont, avant le coup d’envoi, tout naturellement vers les tenants du titre. Habitués à évoluer à ce niveau de la compétition, Detroit est assurément l’équipe de la décennie, visant un cinquième titre en douze ans, et autant de finales. Les protégés de Mike Babcock ont parfaitement maîtrisé leurs play-offs, et l’entraîneur a réussi à insuffler dans son effectif une touche de jouvence, incarnée notamment par Darren Helm ou Justin Abdelkader, décisifs lorsque leur est donnée l’occasion de fouler la glace. A l’issue des deux premières rencontres remportées dans leur antre par une formation des Wings tout en contrôle (toutes deux sur le score de 3-1), le ton de la série est donné, et la tendance qui voit Detroit soulever le trophée prend encore plus d’ampleur. Crosby est éteint par l’admirable travail défensif de Zetterberg, et les Pens, qui n’ont pas l’avantage du terrain, sont déjà au pied du mur avant de recevoir à deux reprises à la Mellon Arena. Menés au score au cours des deux matchs, les favoris de Mario Lemieux font pourtant preuve de ressources mentales insoupçonnées, pour égaliser dans la série, et relancer ainsi les débats. Lors du match 5, Detroit enregistre le retour dans leur alignement de leur star Pavel Datsyuk, et profite de son aide providentielle pour reprendre l’avantage, en étrillant leurs adversaires 5-0, transparents ce soir-là. Ce succès écrasant procure aux Wings un avantage psychologique certain, et les rapproche encore un peu plus du Graal, une victoire leur suffisamment désormais pour être sacrés champions. Mais il était dit que dans cet affrontement au sommet, le facteur de la glace serait déterminant. Et les Pens en font leur adage en emportant la sixième manche sur le score de 2-1, forçant ainsi un match décisif dans le Michigan, emmenant la série aux confins du suspense.
- Fleury stoppant le dernier tir de Lidstrom
A l’aube de l’ultime bataille, les chiffres ne pèsent manifestement pas en faveur de Pittsburgh. Aucune équipe ne s’est imposée à l’extérieur dans un septième match en finale depuis les Montréal Canadiens en 1971, et la domination des Wings dans leur enceinte est telle que rien ne semble pouvoir leur arriver. Le 12 juin, c’est dans une Joe Louis Arena volcanique, sous les yeux du légendaire Muhammad Ali, que Detroit s’apprête à sceller son triomphe. Après une première période menée sur un rythme effréné, le score reste pourtant nul et vierge. C’est au retour des vestiaires que celui que l’on attendait pas, joueur de l’ombre par excellence, l’archétype de l’anti-héros, Maxime Talbot, décide de faire parler la poudre. En l’espace de dix minutes, il signe un doublé qui propulse les siens en tête, alors que derrière, Marc-André Fleury multiplie les exploits devant sa ligne, bien aidé par une défensive qui résiste tant bien que mal aux assauts des Wings. Au cours du dernier tiers, la patinoire retient son souffle, fixant le chronomètre et voyant les secondes défiler, inexorablement. Crosby, blessé lors d’un contact avec Franzen, est contraint de regarder ses coéquipiers faire front du banc de touche. A six minutes du terme, Ericsson, d’un magnifique slapshot en lucarne, redonne espoir à tout le peuple rouge. Hockeytown entre en ébullition, et pousse derrière ses protégés, qui lâchent leurs dernières forces dans ce qui s’apparente désormais à un véritable attaque-défense. Osgood a déserté sa cage, il reste moins de dix secondes à jouer, et le but des Penguins ressemble de plus en plus à Fort Alamo. Un dernier engagement remporté par Zetterberg, Rafalski prend sa chance, mais le palet est dévié et échoit dans la palette du capitaine Lidstrom, qui prend le tir… la trajectoire semble idéale… Fleury s’étend de tout son long… et parvient à sortir la rondelle de l’épaule ! La trompe retentit, et c’est dans un silence de cathédrale que les Pens laissent exploser leur joie.
Ils l’ont fait : au terme d’un match insoutenable sur le plan émotionnel, la bande à Crosby vient de déjouer les avis de tous les spécialistes, et de remporter la Coupe Stanley. La performance est de taille, exploit amplifié par le parcours de l’équipe, qui revient de très loin, et est parvenue a conclure chacune de ses séries à l’extérieur. Malkin, à qui l’on avait reproché son manque de constance lors des play-offs la saison passée, reçoit le trophée Conn-Smythe (MVP des play-offs, avec 36 points), et Sidney Crosby est le plus jeune capitaine de l’histoire à soulever le prestigieux trophée, à l’âge de 21 ans. C’est un premier accomplissement pour celui qui est attendu, depuis son arrivée sur les patinoires de la Ligue, comme le successeur du greatest, Wayne Gretzky, et un rêve qui devient réalité, ainsi qu’il le confesse : « C’est incroyable. C’est le genre de chose à laquelle vous rêver étant gamin. Désormais c’est une réalité ».
Mais le triomphe de Pittsburgh est avant tout celui d’un collectif, qui a su se sublimer sous la pression. Chaque joueur a su prendre ses responsabilités à un moment donné, et sans les Staal, Talbot, Guerin, Fedotenko, Gill, Letang, Gonchar, Scuderi (exceptionnel d’abnégation en défense), et autre Fleury, qui a fait taire les mauvaises langues en prouvant qu’il était bel et bien un cerbère de tout premier rang, cette fabuleuse épopée n‘aurait pu se concrétiser. C’est également une grande victoire pour Mario Lemieux et sa philosophie, lui qui a racheté son équipe de cœur au bord du coma en 1999, et l’a reconstruite petit à petit, année après année, pour la ramener au sommet, dix-sept ans après.
Avec un effectif jeune et bourré de talent, les Penguins font d’ores et déjà office de favoris pour conserver leur trophée la saison prochaine, et pourraient bien être l’équipe à battre lors de la décennie à venir. Cependant, rien n’est jamais acquis d’avance en NHL : un avenir glorieux était également prédit à la formation emmenée par Mario Lemieux et Jaromir Jagr au début des années 90, lorsqu’ils remportèrent consécutivement deux coupes Stanley. Par la suite, ils ne réussirent jamais à atteindre de nouveau les finales. Dans l’inextricable monde du hockey, les vents sont bien souvent changeants, et les candidats affamés de victoires nombreux. C’est aussi cela, sans doute, qui fait la beauté de ce sport.
Vidéos
Highlights du match 7
Remise de la Coupe
Interview de Sidney Crosby après la victoire