La Maison Européenne de la Photographie, dont l’espace d’exposition est éclaté entre cinq ou six niveaux, présente toujours autant d’expositions que de niveaux, et il est rare qu’elles soient toutes aussi intéressantes, comme je l’ai expérimenté à plusieurs reprises. Le bonheur, cette fois-ci (jusqu’au 30 août) est que tout, ou presque, est de qualité; j’exclurais seulement l’homo-érotisme statuaire d’Alair Gomes, non pour son sujet, mais pour sa monotonie obsessionnelle : combien de prépuces de marbre peut-on voir avant de bailler profondément ? Et j’ai déjà évoqué (en note certes) l’exposition Cartier Bresson. Restent quatre expositions dont, à chaque fois, je me suis dit, en la visitant, que j’avais quelque chose à en dire, que j’y ressentais, et de l’intérêt, et de l’émotion.
Commençons par les acquisitions récentes: comme les collections de la MEP ne sont pas exposées en permanence, on ne les voit que rarement, à l’occasion de prêts ou d’expositions temporaires. Cette présentation des acquisitions récentes pourrait être une bonne occasion de tenter de saisir une tendance; ce n’est pas vraiment le cas (on voit mieux les lignes de fond au Centre Pompidou). Ici on retrouve certains des Saul Leiter vus à la Fondation HCB, les photos assez prévisibles de Mohamed Bourouissa et une étrange vidéo où l’histoire d’amour de Paolo et de Francesca dans la Divine Comédie est récitée en arabe sur un plan fixe de décor floral, par Marie Bovo. L’autre vidéo, de Marion Tampon-Lajariette (quel joli nom !) est bien plus intéressante : les dialogues sont ceux du film de Hitchcock La corde, et, nous dit-on, les mouvements de la caméra, travellings, gros plans ou panoramiques, sont en tout point identiques à ceux de la caméra de Hitchcock. Mais, au lieu des personnages de Hitchcock, nous ne voyons que les vagues, dans une mer ‘forte à moyennement agitée’ comme on dit. C’est évidemment un travail formel, conceptuel, où le film original est réduit à des caractéristiques éparses, non signifiantes et pourtant essentielles : c’est un déplacement assez déroutant. Mais ma découverte parmi les acquisitions est le Japonais Masao Yamamoto, aperçu déjà à la galerie Camera Obscura (et non Oscura) : sa série “Kawa = Flow” (Kawa désigne l’eau qui ruisselle d’une montagne après la pluie) est empreinte d’une poésie légère, zen, et, sur la photo ci-dessus, ironique et sensuelle. C’est un peu une quintessence d’art japonais.
L’ingrat petit espace après les WCs et le restaurant est dévolu à Claude Lévêque (oui, encore lui !). Il faut s’y placer exactement dans l’axe du mur de séparation et se reculer le plus possible, dos au fond de la pièce : devant ces yeux en très gros plan, qui, dès lors, se reflètent au sol, on ressent un léger vertige, un flottement, une instabilité. On peut distinguer chaque cil, chaque poil des sourcils, et, au fond de l’iris, le reflet des jambes de l’artiste (Le Crépuscule du Jaguar). C’est une représentation du regard, toute simple comme toujours chez Lévêque, et très forte, comme une ‘métaphore de la photographie’. Et le jeune garçon filmé ici jamais ne cille, jamais ne se laisse perturber par un évènement extérieur, une émotion ou un rayon de soleil. Je me souviens d’un artiste qui tentait de ne pas cligner des yeux sous les bombes, et dont l’émotion impuissante transparaissait ainsi; nous avons ici son antithèse, l’absence de réaction d’un jeune psychotique si j’en crois le texte d’accompagnement, et je ressens une empathie tout aussi forte avec lui qu’avec Batniji en résistant obstiné. La suite demain.Photo Yamamoto courtoisie MEP; photo Lévêque de l’auteur. Claude Lévêque étant représenté par l’ADAGP, la photo sera ôtée du blog à la fin de l’exposition.