Un film vingt ou trente ans plus tard

Par Placebo


Étrange journée que ce samedi de fin juin, lourd d'orages qui n'auront été qu'annoncés, et de cette chaleur humide qui rend hébété. Songeant à m'en débarrasser, il ne s'en fait plus, et, sauf peut-être aux États-Unis, il n'y en a guère eu, ce support n'ayant jamais eu beaucoup de succès, faisant la transition entre la cassette vidéo et le dvd, j'ai commencé hier soir, vendredi déjà fort chaud, à faire le tri dans ma collection de Laser Discs, m'arrêtant aux Woody Allen, de Interiors à Mighty Aphrodite. J'en ai mis un dans le lecteur, autre vestige des années 90, après l'avoir branché sur le téléviseur, Interiors, justement, dont mon ancien patron m'avait parlé il y a deux ou trois jours, qui l'avait vu à la télévision, capable qu'il est de citer des pans complets du dialogue, et qui m'avait marqué à sa sortie, – je ne connaissais pas le premier Woody Allen, le comique – et d'ailleurs je faisais au milieu des années 70 mon initiation cinématographique, des amis se chargeant de me sortir de mon inculture, et, après quelques hoquets l'appareil a bien voulu fonctionner et j'ai regardé le film – un assez mauvais transfert, analogique, et en version plein écran. Puis, il n'était pas encore très tard, Purple Rose of Cairo, qui m'a toujours semblé être le plus fin des Allen. J'ai terminé la soirée dans un livre, comme il se doit, un livre d'entretiens avec Allen datant de la fin des années 90 et j'ai lu le chapitre sur Interiors, puis, au hasard, celui sur September, que je voulais regarder ce soir, ne l'ayant vu qu'une ou deux fois, mais j'ai finalement choisi Another Woman, de 1986, un des films qui m'a le plus marqué – les moments forts de mon analyse --, et avec le personnage principal duquel, interprété par Gena Rowlands, je me suis toujours identifié. Elle atteignait la cinquantaine, j'en avais alors à peine 33, j'en ai maintenant 55. Ce n'était pas à l'âge que je m'identifiais, c'est évident, mais à la carence affective de cette femme : toute raison, et rien dans le cœur. Oui, maintenant, je comprends, qui encore fort cérébral, ai appris à ne plus laisser mon « cœur en hiver » ou, pour être plus précis, à qui celui qui est maintenant dans ma vie, même s'il n'est pas encore dans mon quotidien, a révélé l'importance, la grande importance, des sentiments. Les pochettes sont éparpillées sur la moquette, est-ce que je me laisse aller à la sentimentalité ? J'ai 55 ans et j'aime. L'analyse a pris fin, le thérapeute – et moi aussi – a pris sa retraite. Cet homme de 33 ans…celui de 55 ans : et demain ?