Julie était sous le choc. Il était là, à quelques tables d’elle, juste derrière l’épaule de Cora. Toujours craquant, en plus… C’était insoutenable. D’une main tremblante, Julie a cherché son verre de rouge.
«Ça va pas?», a demandé Cora en levant les yeux de son steak. Julie a descendu une maxigoulée de pinard avant de réussir à articuler: «C’est ce type, là-bas…» Cora s’est retournée pour voir: «Il est canon! Qui c’est?» «J’ai failli sortir avec lui il y a vingt ans.» «Juste failli?» «Oui.» «Il était pris?» «Non.» «Il était gay?» «Non!» «Il te draguait pas?» «Si, j’étais dingue de lui! Mais ça aurait jamais marché. A cause de ma mère.» «Elle pouvait pas l’encadrer?», a demandé Cora. «Pire: c’est elle qui a choisi mon prénom», a répondu Julie, la voix lourde de sous-entendus. Cora l’a regardée sans comprendre: «Je vois pas bien le…» Mais Julie lui a coupé la chique en gémissant «Oooh là là!»: le mec sublime venait de se matérialiser près de leur table. Il s’est penché pour embrasser Julie, puis s’est tourné vers Cora: «Enchanté! Moi, c’est Julien!» Julie a cru mourir sur place et Cora est restée bouche bée trois secondes avant de coasser: «Tiens, Julieeen! Ça alors! Donc toi… et Julie, vous…»
Tandis que Julie la foudroyait du regard, Cora a passé fébrilement en revue les éventuels équivalents masculins du prénom de sa fille. Elle triomphait déjà («Tessa, c’est 100% nana! Je suis une bonne mère! J’ai pas foiré sa future vie amoureuse!»), quand Julien leur a annoncé: «Je viens de devenir papa! Une petite Victoria! Elle a deux jours!» Effarée, Cora a compris qu’elle devait intervenir. C’était maintenant ou jamais! «Victoria, et puis quoi encore!, a-t-elle rugi. Tu vas me changer ce prénom et que ça saute! Sinon qu’est-ce qu’on fera dans vingt ans, quand mon Victor s’amourachera de ta fille, hein?»