Puis le réalisateur de dérouler son raisonnement le plus rationnellement possible, laissant s’exprimer les différents acteurs essentiels de cette situation aujourd’hui intenable. Au premier rang desquels un gestionnaire de fonds de pensions qui sévit dans les pays émergents, des industriels délocalisés en Inde, des spéculateurs et promoteurs immobiliers en Espagne et autre responsable politique de Jersey. Tous plus cyniques les uns que les autres, ils n’ont aucun scrupule à avancer leur raisonnement comme si de rien n’était, de la manière la plus normale, sans aucune considération pour les victimes collatérales induites par leurs agissements parfaitement irresponsables. Ainsi, Mark Mobius, président de Templeton Emerging Markets, de déclarer sans ambages: «Je ne pense pas que l’investisseur doive être responsable de l’éthique,de la pollution ou de quoi que ce soit que produise la compagnie dans laquelle il investit. Ce n’est pas son boulot. Son boulot est d’investir et de gagner de l’argent pour ses clients. »Chacun pourra mesurer le degré de conscience développé par ce genre d’individu dont on ne peut que souhaiter qu’il rejoigne un certain Bernard Madoff au fond d’une geôle d’un pays émergent de préférence. De Chennai (Inde) à Washington, en passant par les carrières africaines, la caméra de Wagenhofer focalise sur ces visages de la misère dont l’espérance de vie se situe autour de la quarantaine, alors que les vautours dessinent des cercles dans un ciel éclatant, voilà pour le contraste saisissant.
Sans nous assommer de données chiffrées incompréhensibles, Erwin Wagenhofer, par le truchement de quelques spécialistes, assène pourtant certaines valeurs particulièrement pétrifiantes. Ainsi, on est effaré d’apprendre que 11500 milliards de dollars fructifient dans les différents paradis fiscaux, échappant en toute impunité à toute forme d’impôt alors que si on imposait ne serait-ce que 7% de cette somme à hauteur de 30%, cela pourrait alimenter d’environ 250 milliards de dollars le programme d’aide au développement pour atteindre les objectifs du millénaire arrêtés par l’ONU [3]. Édifiant.
Enfin, le cinéaste achève son périple au sein du Bundestag en laissant la parole à Herman Sheer, parlementaire Allemand et lauréat du prix Nobel alternatif,qui déclare avec une certaine tristesse, alors qu’il contemple un mur rempli de mots laissés par les soldats Russes à l’issu de la prise de Berlin: «Si nous ne créons pas un nouveau mode de répartition des richesses, ce qui a abouti à la Seconde Guerre mondiale se reproduira sous une autre forme. C’est une nouvelle ère de barbarie qui s’ouvrira.»
Au-delà de la réflexion suscitée par ce brillant travail, ces images génèrent une puissante envie de RÉVOLTE.
[1]Entretien donner par Erwin Wagenhofer au magazine Télérama.
[2] Entretien avec Jean Ziegler autour du film “We feed the world”. Là-bas si j’y suis, avril 2006.
[3] Objectifs du Millénaire pour le développement, ONU.