La rencontre

Par Liliba

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Elle avait vu les tubes, les machines, les tuyaux qui le reliaient à la vie. Elle avait vu le lit blanc avec le crucifix accroché au dessus, la chambre blanche, l'enfant livide. Elle avait croisé le regard de l'enfant ; elle y avait lu l'espoir, un espoir immense, et l'amour, un amour démesuré pour la vie, pour les hommes. Elle n'avait pas compris, elle ne pouvait pas imaginer un seul instant que l'être couché en face d'elle, cet enfant qui n'en n'était presque plus un tant il était malade, mutilé puisse rire, et aimer, et rêver encore. A sa place, elle aurait plutôt voulu mourir pour ne pas souffrir, ne pas connaître cette dépendance à autrui, cette vie végétative, cette déchéance et dégradation lente et inéluctable du corps. Elle était révoltée. Contre la vie si cruelle, contre les médecins impuissants, contre le destin, contre le monde entier ; elle bouillait de haine et d'envie de vengeance, elle aurait voulu tout casser pour effacer les traces de ce malheur, pour repartir à zéro, pour retrouver une vie normale, un enfant normal. Détruire le lit, la chambre, la croix, comme si cela pouvait effacer l'horreur, annuler le malheur...

Elle avait de nouveau regardé l'enfant. Ce regard clair, si limpide, presque insoutenable tant il était pur, et serein. Et, elle ne savait pas pourquoi, non, depuis toutes ces années, elle n'avait pas encore compris pourquoi, elle avait été remplie d'amour. D'un amour pur, inconditionnel, total et absolu pour cet enfant, pour tous les hommes et pour Dieu. Elle avait passé et repassé un millier de fois la scène dans sa tête, revu chaque détail, mais non, jamais elle n'avait trouvé ce qui avait déclenché ce jour-là sa vocation, sa rencontre avec Dieu. Elle si terre à terre, si matérielle, tellement de son époque, profitant pleinement avec ses 20 ans de la société de consommation dans laquelle elle vivait... A travers les yeux de cet enfant elle avait entendu la voix du Seigneur, et perçu son appel. Elle n'avait pas réalisé comment cela avait pu se passer, ni pourquoi elle avait été choisie, mais, après toutes ces années, Soeur Marie-Agnès était heureuse d'avoir su écouter son coeur.