Une grande Albanie, rêve de la droite de Tirana

Publié le 26 juin 2009 par Theatrum Belli @TheatrumBelli

Le Parlement albanais sera renouvelé dimanche. La droite au pouvoir fait campagne en surfant sur son bilan, l'adhésion à l'OTAN, et sur les liens noués avec le Kosovo albanophone voisin.

Dimanche, les électeurs albanais sont convoqués aux urnes pour désigner les 140 députés du Parlement. La bataille s'annonce serrée entre le Parti démocratique de l'actuel premier ministre, Sali Berisha, et l'opposition socialiste, conduite par Edi Rama, le maire de la capitale, Tirana. Pourtant, les programmes des deux partis diffèrent bien peu. Alors que l'Albanie vient de rejoindre l'OTAN, la priorité reste donnée à la poursuite de l'intégration euro-atlantique.


L'autoroute de « l'unité nationale » devait être inaugurée en grande pompe le 25 juin. Cette autoroute doit relier la capitale albanaise, Tirana, au Kosovo, à travers les hautes montagnes de l'Albanie du Nord. Le premier ministre, Sali Berisha, entend bien tirer profit de cette réalisation « historique », trois jours avant les élections du 28 juin.

Le 31 mai, le percement du tunnel de Kalimash, pièce maîtresse de cette autoroute, a donné lieu à une pompeuse célébration, patriotique et électoraliste. Le Premier ministre s'est exclamé : « la nation albanaise est enfin réunifiée et que plus rien ne viendra la séparer », face à une foule brandissant le drapeau national, mais aussi celui Parti démocratique, au pouvoir depuis 2005. Sali Berisha milite activement pour le renforcement des liens avec le Kosovo, perçu comme le « second État albanais », qui a proclamé son indépendance le 17 février 2008. Le sujet alimente toujours un patriotisme « romantique », même si, en réalité, les liens entre le Kosovo et l'Albanie sont plutôt ténus, notamment dans le domaine économique. L'autoroute pourrait changer la donne, car elle offrira au Kosovo un débouché rapide sur la mer Adriatique. Aujourd'hui, il faut plus de dix heures pour rallier Pristina et Tirana. Le temps de parcours sera réduit à trois ou quatre heures, quand l'autoroute sera totalement achevée. Cependant, si les travaux ont avancé très vite en Albanie, ils n'ont pas encore commencé au Kosovo.

L'autoroute pourra-t-elle effectivement être inaugurée à la veille du scrutin ? Beaucoup d'experts mettent désormais en garde contre une trop grande précipitation, qui pourrait avoir de dangereuses conséquences en termes de sécurité. Sali Berisha reste cependant décidé à utiliser l'autoroute comme « voie royale » conduisant à sa réélection, même si sa construction s'est accompagnée de lourds soupçons de corruption. Le coût total des travaux, menés par l'entreprise américaine Bechtel, devrait dépasser le milliard d'euros, et l'on ignore comment le budget de l'État albanais pourra assumer une telle charge. La Banque mondiale a refusé de financer le projet, en estimant que l'Albanie devait avoir d'autres priorités que cette autoroute, notamment la construction d'écoles et de centres de santé.

L'opposition socialiste, pour sa part, dénonce la corruption qui a entouré le chantier. Elle accuse notamment le ministre Lulzim Basha d'avoir illicitement favorisé le consortium formé par Bechtel et la compagnie turque Enka. Lulzim Basha, qui était ministre des Transports au début du chantier - il a hérité, depuis, du portefeuille des Affaires étrangères - est un proche de Sali Berisha. En avril dernier, le parquet de Tirana a cependant décidé de classer l'affaire, pour « vices de forme ».

Cette affaire n'est qu'un des multiples scandales de corruption qui ont défrayé la chronique albanaise ces dernières années. Le 15 mars 2008, le dépôt d'armes de Gërdec explosait, faisant près d'une vingtaine de victimes. La compagnie chargée de nettoyer ce dépôt, hérité de l'époque socialiste, ne respectait aucune norme de sécurité et faisait travailler des enfants. Le scandale a permis de débusquer une autre affaire : des proches du régime ont vendu des armes chinoises périmées aux troupes américaines déployées en Afghanistan. Cette affaire n'a pas empêché l'Albanie de faire son entrée officielle dans l'OTAN, lors du sommet de Strasbourg, début avril 2009.

Cette adhésion à l'Alliance atlantique est un autre succès dont Sali Berisha entend se targuer en vue des élections. Pour les Albanais, rejoindre l'Otan revient à tirer un trait sur la longue période communiste, et ce succès est perçu comme un premier pas avant l'adhésion à l'Union européenne, unanimement souhaitée par la population. Sali Berisha, qui a offert à l'OTAN l'accès à tous les ports d'Albanie, espère que l'adhésion à l'Alliance atlantique renforcera l'intérêt stratégique de son pays. Il joue donc à fond la carte de l'amitié américaine, alors que les Albanais demeurent le peuple le plus américanophile d'Europe, selon toutes les enquêtes d'opinion. Le président Bush avait effectué une visite triomphale à Tirana en juin 2007, mais on ignore encore quel rôle la nouvelle administration Obama entend réserver au pays des Aigles. Lors de son importante visite dans les Balkans, en mai dernier, le vice-président, Joe Biden, s'est rendu à Sarajevo, Belgrade et Pristina, mais pas en Albanie.

L'intérêt stratégique de l'Albanie ne devrait cependant pas se démentir, alors que les États-Unis ont été de fervents partisans de l'indépendance du Kosovo. La nouvelle autoroute permettra de relier aisément la base américaine de Camp Bondsteel, au Kosovo, à la côte Adriatique, et Sali Berisha a officiellement offert l'accès de tous les ports du pays à la flotte américaine.

Jean-Arnault Dérens

Source du texte : L'HUMANITE