Mais déjà en ces derniers jours de septembre 2007, le crépitement des armes automatiques, les explosions de grenades lacrymogènes ont retenti dans le centre de Rangoon, aux pieds de la pagode de la Shwedagon, couverte de d’or et symboles millénaires du bouddhisme birman et à Mandalay, l’antique ville impériale de la dynastie d’Ava dont le déclin et la disparition ont été provoqués par l’irruption de l’armée des Indes britanniques dans le but de mettre fin - sous le prétexte d’éradiquer les débauches et les actes de cruautés de leur dernier empereur - à ses projets d’entente avec les Français désireux d’étendre vers l’Ouest leurs colonies d’Indochine.
Fait intéressant : alors que les journalistes ne peuvent entrer en Birmanie, la généralisation de l’usage de téléphones-caméras permet de lancer, à travers le monde, toutes les images essentielles de la révolte en transformant ainsi la jeunesse de Rangoon et de Mandalay en un peuple de "paparazzi" résistants et utiles.
Déjà le monde entier a pu voir ce que la censure militaire voulait cacher.
C’est la première fois depuis vingt ans qu’est lancé un tel mouvement de révolte dont on ne peut pas dire qu’il ait pu prendre par surprise les généraux de la Junte. Dans une Birmanie apparemment soumise, décrite comme le pays des temples d’or, par les portails publicitaires des agences officielles de tourisme, on ne peut oublier dans les temples, les villes ou les campagnes que la junte a fait tuer, il y a vingt ans, sans état d’âme, trois mille jeunes gens et moines. Leur seul crime avait été d’avoir osé contester le pouvoir de l’Etat militaire, après l’annulation d’élections générales dont les résultats avaient consacré la victoire du mouvement démocrate birman, conduit par Mme Aung Suu Kyi. En les rejetant dans la minorité ces résultats avaient ridiculisé et fait perdre la face aux généraux qui avaient tenter d’imposer au peuple un rapprochement « démocratique » à leur manière, après l’évincement du vieux général Ne Win, celui qui avait imposé sa dictature aux peuples de la fédération et son pouvoir, après l’annulation des élections générales dont les résultats avait consacré la victoire du mouvement démocrate birman, conduit par Mme Aung Suu Kyi. En les rejetant dans la minorité ces résultats avaient ridiculisé et fait perdre la face aux militaires qui avaient un rapprochement « démocratique » à leur manière après avoir évincé le général Ne Win, qui avait imposé pendant vingt-six ans une dictature sans partage aux peuples de la Fédération en chassant le pacifique président U Nu.
Depuis quarante-cinq ans les peuples de Birmanie sont prisonniers de ce régime militaire impitoyable fondé en mars 1962 par ce général pro japonais issu de la résistance anti-britannique durant la Seconde Guerre mondiale.
En une nuit, les Birmans étaient passés de la gouvernance parlementaire momentanément tranquille du président U. Nu à une dictature ubuesque bien pire que n’avait été avant la conquête coloniale anglaise le règne fou de l’empereur alcoolique Tibaw.
En quelques mois une junte de généraux prétendit ouvrir « la voie conduisant au socialisme birman » un mélange harmonieux, selon eux, mais surréaliste, de bouddhisme et de national communisme. Cela avait été plus long que prévu, mais au cours des mois et années suivantes, les membres de la junte avaient nationalisé, c’est-à-dire mis la main, sur tous moyens de production du pays. D’abord la culture du riz, son industrie de décorticage et son commerce national et international, ensuite tout le réseau bancaire, puis l’ensemble du commerce, allant de la boutique mobile des marchandes de soupe aux coins des rues à la grande distribution internationale dont l’administration et les directions furent confiées à des colonels inexpérimentés. Ensuite la monnaie, par un changement de billets qui ruina les deux tiers du pays tandis que les Etats de la fédération, dans leur majorité (Shan, Karen Kachin, etc.) refusaient de reconnaître la constitution fédérative birmane créée au moment de l’indépendance et entraient en dissidence.
Une première révolte des étudiants de l’université de Rangoon, en mai 1962, fut noyée dans le sang. La « Sangha » ainsi que l’on nomme l’assemblée des hautes autorités monacales eut beau organiser sur les lieux de cette tuerie des cérémonies propitiatoires, dans le but de calmer les milliers « d’âmes errantes » des jeunes gens victimes de la cruauté des militaires, rien n’y fit et le pays de mois en mois, d’année en année sombra dans la plus profonde et sinistre des dictatures. Jusqu’au moment ou le général Ne Win, usé par l’âge et les excès, fut écarté du pouvoir par des généraux plus jeunes que lui et dont certains qualifiés de « modérés » avaient imaginé qu’en organisant des élections générales que tout le peuple attendait, ils pourraient établir sous leur direction un régime pseudo-démocrate qui leur aurait permis de durer indéfiniment.
Les résultats de cette consultation populaire furent tels que la junte au pouvoir en 1988, ainsi ridiculisée, ayant perdu la face, décida de les considérer comme nuls et non avenus.
On prétend que le pouvoir rend fou et aveugle. La richesse également, depuis janvier 2005. On a constaté en effet depuis la découverte à cette époque, de gisements de gaz extrêmement importants dans le Nord, en off shore, à l’extrémité du golfe de Bengale, la Birmanie est devenue une des nations potentiellement les plus riches du Sud-Est Asiatiques. L’énorme potentiel d’exploitation qui est désormais à sa disposition, avec la présence de compagnies pétrolières françaises, indiennes ou internationales, a provoqué chez les généraux une sorte de folie des grandeurs entretenue par de grandes puissances telles que la Russie et la Chine ou incontournables comme l’Inde, le Pakistan et l’Indonésie. Ou prudentes comme celles de l’ASEAN.
Les Russes dont les bonnes relations avec Rangoon sont traditionnelles depuis les années 50, et renforcées depuis le coup d’État de mars 1962, y ont vu l’occasion de poursuivre leur progression stratégique, diplomatique et économique vers les mers chaudes d’Asie, selon le vieux rêve de la Grande Catherine. Ils ont vu dans la découverte du pactole pétrolier, qui a donné des moyens financiers illimités à la junte des généraux, l’occasion de renforcer ces liens par des accords industriels, nucléaires, commerciaux et des conventions de coopération militaire entre le gouvernement de M. Vladimir Poutine et la junte. Ces accords ont notamment porté sur la fourniture d’équipement neuf, des chasseurs bombardiers à l’armée birmane et surtout l’inauguration d’une coopération nucléaire avec Rangoon pour la construction d’une centrale et l’établissement de laboratoires de recherche nucléaire médicale.
C’est probablement pourquoi, à Moscou, on ne s’est pas ému au sujet de la « révolte safran », en préconisant un règlement prudent de cette crise.
Alors que les États-Unis et l’Union européenne ont appelé l’ONU à envisager des sanctions contre le Myanmar, après la répression des manifestations d’opposants au régime, le ministère russe des Affaires étrangères a déconseillé mercredi "de profiter des derniers événements pour exercer des pressions ou se livrer à des ingérences dans les affaires intérieures" de la Birmanie. La Russie continue "à penser que les événements au Myanmar ne sont une menace ni pour la paix internationale et régionale ni pour la sécurité", poursuit le communiqué, qui appelle néanmoins Rangoon et l’opposition à "faire preuve de retenue".
Quant à la Chine, dans la perspective des jeux Olympique, elle paraît fort embarrassée, au point que son ministre des Affaires étrangères
fait rarissime - a "recommandé" à la junte de résoudre "pacifiquement" cette crise.
En fait Pékin, manifeste trois préoccupations :
- la nécessité de compter sur un fournisseur constant de produits énergétiques indispensables pour la poursuite de son développement industriel et économique ;
- assurer ses arrières le long d’une frontière de mille cinq cents kilomètres ;
- éviter de se laisser entraîner dans une aventure diplomatique au moment où elle prépare le grand show des jeux Olympiques.
De leur côté, l’Inde et la Thaïlande espèrent continuer à acheter du gaz et du pétrole birmans et, en Extrême-Orient, la Corée du Nord souhaite maintenir de bonnes relations avec le Nyanmar. Elles n’ont aucun intérêt pour l’instant voir un chaos s’installer chez leur fournisseur ou partenaire. Ce déséquilibre risquerait de provoquer une crise majeure dans cette région.
En Asie, tout est atrocement compliqué. Et pourtant la mise en scène actuelle comportant trois acteurs principaux est relativement simple. Logique en tout cas, mais périlleuse pour ses initiateurs.
D’un côté l’armée birmane, « Tatmadaw » dont les effectifs sont supérieurs à 400 000 hommes, biens armés et dont les généraux, au moins ceux qui composent la junte, se sont partagé un butin composé essentiellement des richesses produites par l’exploitation des gisements gaziers et pétroliers, celles des mines de Mogok où l’on extrait les saphirs, les rubis, les jades considérés comme les plus beaux du monde. Sans parler naturellement de la vente de millions de tonnes de riz et de bois précieux.
De l’autre, « le Sangha » qui compte quelque 500 000 bonzes du « petit véhicule » (toge safran). Ils peuvent tenir tête aux militaires avec l’aide du monde bouddhiste extérieur. Il se pourrait qu’il existe un commun accord entre les pays bouddhistes de la région du Sud-Est asiatique.
Pour la première fois depuis le début de leur révolte le 18 août dernier, les moines ont invité la population à les rejoindre dans leur « campagne pacifique pour faire tomber la dictature militaire néfaste ».
Les manifestations de Yangoon (Rangoon) et Mandalay ont confirmé que l’ampleur de la révolte en cours est sans précédent depuis celles de 1988 qui avaient été écrasées dans le sang par les généraux birmans.
« Nous décrétons "ennemi commun" de tous nos citoyens, le despotisme militaire qui "appauvrit et paupérise les gens de toutes conditions, y compris le clergé", a déclaré sur internet une "Nouvelle Alliance nationale des moines birmans" ».
Parmi les causes immédiates de cette révolte figure la hausse du prix de l’essence et du coût journalier de la vie. Ce furent les premiers prétextes du soulèvement, Mais ce qui a pu avoir toutes apparences d’une « fronde sans lendemain » est en train de se transformer en une révolte puissante contre le régime.
Que la population ait été exaspérée par ces augmentations de prix. Cela ne fait pas de doute, d’autant que l’enrichissement spectaculaire des militaires n’avait pas empêché la misère de s’installer dans un pays qui - en dépit de son économie vivrière - ne souffrait pas de la faim. Il y a certainement d’autres bonnes raisons : faut-il les chercher du côté pétrolier ? Ou doit-on considérer ces événements comme le début d’un "containment" de la Chine ? Cela vient-il des membres de l’ASEAN ? Autant de questions auxquelles il est difficile de répondre.
Ou bien l’arrogance des généraux a-t-elle fini par incommoder leurs voisins qui ont vu dans le mécontentement à peine dissimulé d’une population lasse de près d’un demi-siècle de dictature des risques de déstabilisation d’une des régions les plus sensibles du Sud-Est asiatique.
Maintenant qu’ils se sont réfugiés dans leur niz d’aigle par crainte des étudiants, des bonzes et des civils en général de Rangoon, l’ancienne capitale, que vont faire les généraux ?
- faire tirer sur les manifestants pour mettre un terme à ce qu’ils qualifient de « désordres provoqués par les ennemis du peuple » ;
- transiger ? Les Birmans démocrates en exil en doutent fort ;
- céder aux pressions internationales ? Encore moins. Comment accepteraient-ils de le faire alors qu’ils savent que la Chine et la Russie n’approuveront pas les sanctions décidées au sein du Conseil de sécurité des Nations unies ?
Pour le reste, wait and see. Mais il paraît probable et à craindre que les militaires ne se servent d’Aung Sand Suu Kyui, la « Dame de Birmanie » comme otage en face d’un peuple et d’un clergé bouddhiste venus prier devant sa porte, mais réduits à l’impuissance, tandis que la démocratie une fois de plus, ne leur paraîtra que le leurre trompeur d’un monde occidental invertébré ?