Jamaïca Kincaid : Mon frère

Par Gangoueus @lareus

Un bouquin, un roman est marqué soit par le sujet traité, soit par le style, l’esthétique que l’auteur propose. Quand on a les deux, le nirvana du lecteur n’est pas loin. Incontestablement, Mon frère de Jamaïca Kincaid est marqué par un style particulier qui donne une certaine densité à ce roman. Et le sujet n’est pas de tout repos puisqu’elle traite les derniers jours de son frère atteint du VIH à Antigua.
C’est un roman autobiographique. Tous les acteurs sont réels. J’ignore si l’auteur a pris quelques libertés avec la réalité pour que l’on puisse parler d’autofiction. Rien ne le laisse paraître.
L’essentiel du récit porte sur Antigua, petite île britannique des Caraïbes. Devon est atteint du sida, entrain de mourir quand sa sœur quitte les Etats-Unis pour voler à son chevet. Les médicaments du nord qu’apporte la narratrice vont accorder une rémission de ce jeune homme de 33 ans avant son trépas.

La violence de cette agonie, dans le contexte singulier d’Antigua, va conduire Jamaïca Kincaid dans une introspection sur son ressenti mais aussi sur les rapports qu’elle entretient avec cette famille avec laquelle elle a pris ses distances depuis une dizaine d’années.

Ici, l’écriture est une question de survie. L’auteure semble submergée par une vague de sentiments qui se déversent sur la page blanche qu'elle charge de ses écrits avec la violence d’une mer en furie sur la côte. Le ressac est permanent. Les mots sont parfois violents. Des épisodes sont retranscrits, répétés par l’auteur comme pour mieux se purger d’une frustration persistante. Cette manière de narrer, qui pourrait être sous certains aspects agaçante, est la principale qualité de cet ouvrage. Elle porte la contradiction de ses sentiments qui animent l’écrivaine américaine.
Je suis devenue écrivain par désespoir, de sorte que quand j’appris que mon frère était mourant, j’étais familiarisée avec l’acte qui me sauverait : j’écrirais à son sujet. J’écrirais au sujet de sa mort. Quand j’étais jeune, plus jeune que je ne le suis maintenant, j’ai commencé à écrire au sujet de ma propre vie et j’en suis venue à voir que cet acte m’avait sauvé la vie. Quand j’ai appris que mon frère était malade et qu’il allait mourir, j’ai su instinctivement, que pour le comprendre, ou pour tenter de comprendre sa mort, et pour ne pas mourir avec lui, j’écrirais à ce sujet.

Page 184, Edition de l'Olivier, coll. Points
Elle est partagée entre la compassion et la colère à l’endroit de ce frère qui le temps d’une rémission semble avoir des rapports non protégés. Elle regarde l’histoire de la vie de son frère sur cette île qui offre si peu de possibilité. En parallèle, sont décrits les rapports chaotiques avec sa mère. La mère de ses frères. Mrs Drew. C’est selon les humeurs. Véritable rouleau compresseur, cette femme charismatique non dénuée de sentiment et du devoir maternel évolue dans une relation faite d’incompréhensions avec sa fille.


Il me manquait. Le voir souffrir me manquait. Il me manquait d’être navrée de le voir dans sa souffrance, il me manquait de le voir au milieu de quelque chose de grand et d’espérer qu’il en émergerait changé en mieux. Je ne l’aimais pas. Ce que j’éprouvais était peut-être de l’amour, mais n’empêche, même maintenant je ne l’appellerais pas ainsi.

Page 58, Edition de l'Olivier, coll. Points


Ce texte offre un regard intime sur cette famille. Il donne un cliché de la situation du sida à Antigua et le regard que cette société portait dans les années 90 sur ce fléau. Avec un style que l’on appréciera ou alors qui pourra paraître lourd selon l’humeur du lecteur.


Bonne lecture
Jamaïca Kincaid, Mon frère
Edition du Seuil, collection Points, 1ère parution en 2000
traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Jean-Pierre Carasso et Jacqueline Huet
Source photo : Promohthree