J'avais lu ce livre à l'âge de quinze ans (autant dire que cela fait une éternité) sans en garder un souvenir très précis. Après relecture, je me demande comment j'ai bien pu passer à côté d'une histoire aussi intrigante ! Tout y est déroutant, parce que tout nous y interpelle par des voies détournées. Quelle est donc cette relation amour-haineuse entre frère et soeur qui flirte constamment avec l'inceste sans jamais y succomber ? Ce rapport obsessionnel, exclusif, nécessite un huis clos (la chambre) et la présence de tiers, témoins et faire-valoir. Gérard, amoureux d'Elisabeth, et Agathe, éprise de Paul, seront successivement pris à partie et manipulés lors des luttes qui opposent constamment le frère et la soeur. Le refus d'accéder à l'âge adulte et aux responsabilités qui en découlent est symbolisé par la chambre qui abrite leur complicité et leur insouciante cruauté. C'est un lieu à l'abri du temps, un temple qu'ils ont à coeur de reconstituer aussitôt qu'ils en sont physiquement éloignés.
Pourtant, les protagonistes seront fatalement rattrapés par le monde extérieur. Lorsque Élisabeth réalise que son frère échappe à son emprise, la tragédie s'annonce. Le destin du frère et de la soeur est inexorablement lié aux agissements d'un deus ex machina : Dargelos, le camarade de lycée, dont l'intervention, au tout début et à la toute fin du roman, seront déterminantes. Entre les deux, apparaît la charmante Agathe, qui pourrait être un avatar de Dargelos au féminin, tant elle lui ressemble - peut-être à la manière dont un négatif ressemble à une photographie... La séduction qu'elle exerce sur Paul détourne celui-ci de sa terrible soeur, et précipite la chute.
En filigrane, l'auteur nous invite à une réflexion sur le destin, romanesque ou réel. Au fil des pages, on se demande parfois, qui du romancier-démiurge ou des personnages, tire les ficelles du drame...