Au cours d’une conférence à laquelle il participait, un professeur d’université a distribué à l’assistance un texte critiquant le mode de recrutement des professeurs-assistants dans sa discipline. A l’appui de son opinion selon laquelle des personnes inadéquates pour ce poste auraient été recrutées, le professeur cite l’exemple d’une personne - sans donner son nom - finalement devenue professeur-assistant alors qu’il ne l’avait pas jugé apte au regard de ses travaux. Ce professeur-assistant forma avec succès une action en réparation contre ce qu’il estimait être une atteinte à sa réputation et ce, au terme d’une procédure marquée par des divergences de vue entre la Cour de cassation turque et les juridictions du fond.
La Cour européenne des droits de l’homme, saisie d’une requête alléguant d’une violation du droit à la liberté d’expression (Art. 10), met très rapidement en exergue la spécificité de l’affaire d’espèce. D’une part, quant à la nature des propos litigieux, les juges européens estiment que ces derniers peuvent être qualifiés de “jugements de valeur portant sur une question d’importance publique“, en l’occurrence “le système de nomination et de promotion au sein des Universités” (§ 32). Est aussi pris en compte le fait que le requérant se référait “à sa propre expérience personnelle” en tant que membre d’instances universitaires de recrutement (§ 32).
D’autre part, et surtout, la Cour énonce, sous la forme d’une affirmation de principe détachée du contexte d’espèce, “l’importance de la liberté universitaire, qui comprend la liberté des universitaires d’exprimer librement leurs opinions au sujet de l’institution ou du système dans lequel ils travaillent et la liberté de diffuser sans restriction le savoir et la vérité” (§ 35 - « the Court underlines the importance of academic freedom, which comprises the academics’ freedom to express freely their opinion about the institution or system in which they work and freedom to distribute knowledge and truth without restriction »). Ce principe s’inspire d’ailleurs expressément et littéralement de la recommandation 1762 (30 juin 2006 - « liberté académique et autonomie des universités ») de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (§ 21). Au regard de ces circonstances et principes, il est jugé que la Cour de cassation turque a “attaché plus d’importance à la réputation d’une personne dont le nom ne fut pas cité qu’à la liberté d’expression dont doit normalement jouir un universitaire dans un débat public” (§ 34), d’autant que le montant des dommages-intérêts alloués au plaignant est qualifié de “très substantiel” (§ 37). En conséquence, la Turquie est condamnée pour violation de l’article 10.
A titre de comparaison avec le contexte universitaire français, il est possible de rappeler que cet arrêt fait notamment écho à la position du Conseil constitutionnel (outre la reconnaissance de l’indépendance des professeurs d’université en qualité de principe fondamental reconnu par les lois de la République - § 20 -, il fut affirmé que « par leur nature même, les fonctions d’enseignement et de recherche non seulement permettent mais demandent, dans l’intérêt même du service, que la liberté d’expression et l’indépendance des personnels soient garanties par les dispositions qui leur sont applicables » - § 10 - CC, 20 janvier 1984, Loi relative à l’enseignement supérieur, 83-165 DC).
Sorguç c. Turquie (Cour EDH, 2e Sect. 23 juin 2009, req. n° 17089/03 ) - En anglais