La Tour Jean-sans-Peur présente, jusqu’au 4 novembre 2007, une exposition sur « l’école au moyen-âge ». Elle a été préparée par Danièle Alexandre-Bidon, historienne, ingénieur d’études à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales et auteur de « La vie des écoliers au moyen-âge », éd. du Sorbier, 2000. Cette exposition n’est pas une « grande manifestation » mais fait partie de ces présentations thématiques très bien faites, professionnelles et instructives, qui sont le charme de Paris lorsqu’on sait fouiner.
Réduite mais dense, elle présente sur des panneaux flottants différents types d’élèves et d’écoles, des petits à l’université, le matériel de classe, les disciplines et le rythme scolaire. On apprenait à déchiffrer les lettres en 3 mois, dès 3 ans, et à calculer en 4 mois, ce qui était très utile aux petits bergers pour compter les moutons. On ne confiait en effet jamais un troupeau avant l’âge du calcul ! La méthode d’apprentissage de la lecture était celle du b-a ba.
L’école concernait surtout les garçons et un maître ne pouvait enseigner qu’à des garçons. Mais elle n’était pas fermée aux filles, qui pouvaient apprendre avec une femme, si elles en avaient le loisir. Les durs travaux faisaient parfois des filles des garçons manqués, en témoigne Jeanne d’Arc. Christine de Pizan fut exemple d’une femme lettrée du temps, auteur de livres à succès. Mais la pesanteur traditionnelle vouait surtout les femmes à la maternité, et cela ne nécessitait point d’école.
L’apprentissage commençait très tôt dans les familles, vers 8 ans pour les potiers, mais il fallait attendre d’avoir quelques muscles pour devenir rémouleur. La plupart des apprentis pour les métiers délicats ou difficiles n’avaient pas moins de 14 ou 15 ans. Il fallait de 3 à 6 ans pour sortir de l’apprentissage. Mais ce n’était pas le bagne : souvenons-nous qu’un jour sur trois était fête, au moyen-âge.
Doué, on pouvait entrer à l’université à 10 ans, passer le baccalauréat à 14 ans, mais on était obligé d’attendre au moins 1 an pour passer la « licence », autorisation qui permettait d’enseigner. On étudiait par terre, assis en tailleur sur des bottes de paille, tandis que le professeur tenait dur comme fer à sa chaire – afin de faire lever les yeux aux élèves, en signe de respect. Les profs pouvaient sans vergogne fouetter nus les élèves (c’était « le bon temps » ?), mais il leur était quand même déconseillé de « blesser jusqu’au sang » ou de « casser un membre » (c’est dire les mœurs du temps…) La baguette de bouleau, qui cingle en laissant peu de traces, était donc l’instrument privilégié de l’enseignant.
Pas de livre (chaque manuscrit valait un troupeau), le but de l’éducation était de maîtriser l’art de la parole. Les trois arts qui formaient le trivium étaient la grammaire, la rhétorique et la dialectique Uniquement oral, le bac avait lieu à Pâques, tandis que la maîtrise se soutenait à l’été. Dans une cave de la tour Jean-sans-Peur, une étroite salle de classe médiévale pour gosses de riches est restituée de façon vivante.
Jean-sans-Peur, duc de Bourgogne et rival alors du faible roi de France, gouvernait depuis son hôtel parisien. C’est à l’intérieur de celui-ci qu’il fit construire la haute tour qui subsiste, de 1409 à 1411. Elle était destinée moins à la défense qu’au prestige : elle abritait en effet les salles de conseil. Jean n’a pas eu peur de faire assassiner son cousin Louis d’Orléans, frère du roi Charles VI. Ce meurtre a déclenché la guerre civile entre Armagnacs et Bourguignons, partisans du roi et partisans du duc. Comme on ne récolte que ce qu’on a semé, Jean-sans-Peur sera lui-même assassiné à Montereau en 1419. Les « guerres de religions » ont été - et restent encore - une exception française parfaitement archaïque.
Le reste de la tour présente donc une habitation médiévale avec grand escalier à vis sur le modèle du Louvre de Charles V. On notera tout spécialement le célèbre décor végétal flamboyant de sa voûte d’escalier, ou s’entrelacent dans la pierre branches de chêne, lianes de houblon, et fleurs d’aubépine. Les chambres de la tour, qui se visitent, ont chacune des latrines à fosse. Les pièces servaient de lieux privés multi-usages : chambre la nuit, cabinet de travail la journée, pièce à manger ou à recevoir. Il suffisait de tirer les courtines du lit, où chacun dormait nu, ou de dresser la table, sur tréteaux.
Venus avec maman, les jeunes enfants du mercredi, débraillés par le mélange saisonnier du dehors venté et de la moiteur à l’abri, sont fort intéressés par cette vie spartiate, communautaire et protégée de la tour. Jusqu’à 13 ans, un livret-jeu leur est offert pour la visite.
Visiter la tour Jean-sans-Peur à Paris