Un arrêt du Conseil d’Etat rendu le 13 mars stipule que l'invalidation d'un permis de conduire peut être suspendue si elle «porte une atteinte grave et immédiate à l'exercice de la profession ou à la situation financière de l'intéressé», ce qui est le cas pour «tous les professionnels du volant, mais aussi pour celles et ceux qui ne peuvent se rendre à leur travail qu'en voiture».
Je remarque tout d’abord que nos sages ignorent quel est le lot commun de nombreux travailleurs. Ils semblent n’avoir pensé qu’à ceux exerçant un travail sédentaire, négligeant ceux qui, itinérants, ont besoin d’une voiture pour accomplir leur travail, sans être pour autant des professionnels du volant : voyageurs de commerce, représentants, dépanneurs, artisans et autres. Mais la raison de mon étonnement devant cette décision est beaucoup plus fondamentale. Elle tient à la méconnaissance témoignée par ces sages du but d’une invalidation de permis.
Je ne suis pas en mesure de juger si les fautes commises par un conducteur peuvent justifier l’invalidation de son permis. Mais, dans l’état actuel de la législation, le retrait de la totalité des points accordés à un permis donné entraîne son invalidation. Ceci correspond au fait que le législateur estime que son détenteur contrevient aux dispositions du Code de la route alors que ce permis suppose au contraire leur respect. L’’invalidation de ce permis s’impose donc. Ces dispositions visant à assurer une circulation sûre et harmonieuse sur les voies de communication, on en écarte ainsi ceux qui peuvent la perturber et même constituer un danger pour autrui.
Ceux qui ont une utilisation intensive de leur véhicule sont, de toute évidence, beaucoup plus susceptibles de provoquer ces violations. Inversement, leur longue pratique du volant devrait leur conférer une meilleure expertise de la conduite automobile. Si l’on pourrait pardonner la méconnaissance de telle ou telle disposition par un conducteur occasionnel, il n’en va pas de même de la part d’un professionnel beaucoup plus habitué à circuler. Pour ne prendre qu’un exemple, un chauffeur de taxi devrait être irréprochable quant au respect du Code de la route.
A la différence des amendes, qui peuvent être parfois perçues comme un impôt déguisé, le retrait du permis est surtout destiné à améliorer la sécurité routière. Il doit avoir un effet dissuasif, obliger les conducteurs à respecter le code. Combien de fois, en tant que piéton, puis-je constater le peu de cas que certains automobilistes font des passages pour piétons ou des feux rouges. Et la perspective salutaire du retrait de permis, en dehors de la présence de fonctionnaires de police prêts à verbaliser, est le seul frein à de tels excès, d’autant plus efficace s’il peut coûter au contrevenant la perte de son emploi.
Ah oui, on ne peut porter atteinte à la situation financière de l’intéressé ! Mais porter atteinte à la vie d’une victime, c’est permis ? Pourquoi pas, d’autant que, morte, elle n’aura plus aucun souci financier !