Devenir adulte, se ranger, fonder une famille ne sont pas toujours des étapes évidentes dans la vie d’un individu, car elles s’accompagnent inévitablement de nouvelles responsabilités et de certains sacrifices. Le sujet, universel et éternel, est particulièrement mis en avant dans les sorties de la semaine, puisque, hormis Tellement proches et la crise d’« adulescence » de Vincent Elbaz, deux autres films, radicalement opposés, en font également leur thème central.
Le premier, Hantée par ses ex, est une comédie hollywoodienne formatée pour le divertissement des masses. Matthew McConaughey y campe Connor Mead, un dragueur invétéré qui, suivant les traces de son défunt oncle, roi de la fête et des plaisirs charnels, cumule les conquêtes d’un soir et les ruptures fracassantes… En somme, l’archétype du macho terriblement séduisant, mais parfaitement odieux.
Le voir débarquer au mariage de son petit frère, en qualité de témoin, est une aberration. Personne n’est aussi réfractaire aux liens matrimoniaux et à l’engagement réciproque que Connor. S’il est venu, c’est surtout pour tenter une dernière fois de dissuader son frérot de se passer la corde au cou. Peine perdue, évidemment… Alors pour supporter tout ce cirque qui heurte ses convictions profondes, Connor boit beaucoup d’alcool… et cumule les bourdes ! Il tient des propos déplacés sur le mariage, drague la mère de la mariée, provoque des catastrophes en cuisine et dévoile quelques secrets embarrassants pour son frère… ‘Fallait pas l’inviter !
Heureusement, de gentils fantômes – son oncle et ses ex-conquêtes – vont se charger de le remettre dans le droit chemin en lui rappelant qu’il a autrefois été très amoureux de la demoiselle d’honneur (Jennifer Garner) et qu’il croyait alors à l’amour éternel et aux vertus de la monogamie… Voyageant entre passé, présent et futur, Connor va prendre conscience de son immaturité et de son impopularité auprès de tous ceux qui l’entourent. Il va également comprendre que la vie de Dom Juan qu’il mène ne peut aboutir qu’à une impasse. Ouf ! La morale est sauve ! C’est ça l’effet Hollywood, fraîcheur de vivre…
Le sujet n’est ici prétexte qu’à un pur divertissement aux rebondissements prévisibles, où Matthew McConaughey et Jennifer Garner cachetonnent sans forcer leur talent.
Seule la présence de Michael Douglas, en fantôme du tonton dragueur, apporte un peu de piment à l’ensemble, mais c’est bien peu pour relever la saveur d’un plat trop peu épicé…
Même thème central, mais autre continent, autre style cinématographique et autre approche dans Boogie, de Radu Muntean, qui s’inscrit dans la dynamique du cinéma roumain contemporain, porté par les succès cannois de Cristian Mungiu, Cristi Puiu ou Cristian Nemescu. C’est d’ailleurs sur la Croisette que le film a été présenté la première fois, lors de l’édition 2008 de la Quinzaine des réalisateurs.
Il met en scène Bodan, un trentenaire qui, pour quelques jours de vacances, revient avec sa femme et son jeune fils dans la ville de son enfance, une cité balnéaire au bord de la Mer Noire. Là, il tombe sur deux amis de lycée avec qui il a jadis fait les quatre-cents coups. Ils dînent tous ensemble au restaurant et évoquent les souvenirs du « bon vieux temps ». L’alcool coule plus que de raison, la soirée s’éternise et la femme de Bodan, un peu agacée par la présence de ces deux intrus, finit par quitter la table et regagner l’appartement. Bodan reste encore un peu, étonné de voir que ses vieux copains, malgré quelques rides en plus, n’ont pas vraiment changé de mode de vie. Quand ils lui proposent de prolonger la soirée jusqu’au petit matin, Bodan a la sagesse de refuser. Il a désormais des responsabilités familiales. Mais une altercation avec son épouse, lors de son retour, le fait changer d’avis. Il part retrouver ses deux compères pour une virée nocturne lui rappelant les éléments constitutifs de sa jeunesse – alcool, jeu, drague et sexe – où il va prendre une bonne dose de liberté, et faire le point sur sa vie et ses priorités.
Le film montre bien le sentiment de frustration éprouvé par Bodan, qui travaille beaucoup pour assurer la qualité de vie de sa famille et qui assume également son rôle de père. Mais sa femme exige encore plus de sa part et ne lui laisse pas vraiment le temps de souffler. De quoi regretter le temps de l’insouciance, des parties de rigolade, de la séduction sans lendemain…
D’un autre côté, les deux vieux copains sont assez pathétiques. Ils se comportent toujours comme deux ados attardés alors qu’ils n’ont plus vraiment l’âge ou le physique pour espérer séduire des jeunettes de 18 ans… Ils n’ont rien à quoi se rattacher. Pas de boulot stable, pas de femme, pas d’enfants, pas d’avenir non plus, dans cette ville côtière grise et terne…
Radu Muntean réussit parfaitement à pointer les contraintes et la nécessité du passage à l’âge adulte. Rien que pour cette chronique assez fine, son travail mérite d’être salué. Mais le film va un peu plus loin dans son propos. A ce portrait individuel s’ajoute en filigrane un portrait collectif, celui de la nation roumaine et des profondes mutations qui la traversent depuis la chute du régime dictatorial de Ceaucescu, à la fin des années 1980…
D’une certaine manière, Bodan, jeune cadre dynamique gagnant très bien sa vie, est symbolique d’une société roumaine moderne et libérale, tournée vers l’avenir. Ses vieux copains, eux, représentent un passé loin d’être glorieux, marqué par une grande détresse économique et sociale, mais qui, pour ceux que le système capitaliste a laissé au bord du chemin, présente encore un certain attrait…
Le film de Radu Muntean, qui évolue donc sur au moins deux niveaux de lecture possibles, est évidemment bien plus noble que la grosse comédie américaine citée plus haut. Mais il pèche par sa forme, peu séduisante, et par sa durée un peu trop longue pour un sujet aussi « simple ». Malgré le jeu irréprochable des acteurs, Boogie est plombé par des séquences assez interminables, notamment celles se passant au bowling ou dans la chambre d’hôtel, à la fin du film, et par les bavardages incessants et un peu agaçants des trois protagonistes principaux.
Dommage, car il s’agit d’une œuvre plus intéressante qu’il n’y paraît, à mi-chemin entre les récentes réussites du cinéma roumain et le Husbands de Cassavetes. Le film creuse son sillon lentement après la projection, et laisse en nous, au final, une pointe amertume perceptible. Sans doute l’arôme d’une jeunesse et d’une insouciance aujourd’hui révolues...
Notes :
Hanté par ses ex :
Boogie :
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