Un poème naît d’un mot, d’un son, d’une phrase attrapée au
vol, d’une métaphore isolée ou d’une scène – souvent sans que l’on puisse
prévoir qu’un jour un poème en naîtra, et encore moins quel genre.
Un poème naît dans la mesure où l’on ajoute à cette source des mots, des sons
et des images et, dans le processus de l’écriture, ne cesse de les peser et réprouver
en les confrontant.
Un poème naît lentement, avec du temps et de la patience. Le trait de génie est
un cadeau qui, à la différence des cadeaux habituels, est examiné
minutieusement et de façon critique avant d’être accepté.
Un poème naît dans la mesure où l’on ne s’en contente pas trop rapidement.
Un poème ne naît pas simplement de l’addition de mots, mais aussi de la
réduction radicale et parfois douloureuse du matériau, du renoncement.
Un poème naît en connaissance de la tradition – ne serait-ce qu’en évitant la
convention poétique et le cliché, ou en sachant jouer avec eux.
Un poème naît dans la mesure où l’on se tourne vers le concret et où l’on
craint les grands mots. Le gant perdu est plus important que la notion de″liberté.″ Ou dit autrement : un poème
avec pour sujet un gant perdu peut devenir un poème sur la liberté, mais celui
qui se propose d’écrire un poème sur la liberté court le danger de ne pas voir
le gant perdu et donc un objet de grande valeur.
Il va de soi que des phrases comme celles-ci, dans les cas douteux, ne s’appliquent
pas à vos propres poèmes et peuvent être, en tout cas, des approximations, des
approches de l’activité poétique. Quand on écrit, on ne pense certainement pas
à elles, sinon il ne sortirait rien de tout cela. L’écriture du poème comme un
artisanat ou un cadeau des muses, le poète comme ouvrier ou instrument – s’accorder
à l’une de ces positions contraires n’a pas beaucoup de sens. Mais ce sont les
deux pôles au moyen desquels et entre lesquels, tout poète doit trouver sa
place et son regard sur les choses – non pas pour écrire, mais pour pouvoir
discuter avec soi-même de son écriture. En fin de compte, on devra s’estimer
heureux en approuvant le poète nord-irlandais Michael Longley : Si je savais d’où viennent les poèmes – je m’y
rendrais. »
Jan Wagner, Archives
nomades, traduit de l’allemand par François Mathieu, édition bilingue,
Cheyne Éditeur, 2009, P 83 et 84.
Avec l'aimable autorisation des Editions Cheyne