Ce n’est pas parce qu’on a rien à annoncer qu’il faut se priver de réunir le Congrès. “Tout ça pour ça ” juge la plupart des observateurs à l’issue des 45 minutes de discours de Nicolas Sarkozy. Ni Churchill, ni Clémenceau, la déception est partagée à droite. Un bon discours de premier ministre a malicieusement glissé Robert Badinter, Sénateur des Hauts de Seine, très critique le matin même sur France Inter. “Absent du Congrès depuis un siècle et demi, le chef de l’Etat y est revenu par la petite porte“, osent Les Echos, à la limite de la lèse-majesté.
Montesquieu , au secours ! L’entorse à l’usage républicain selon lequel les présidents de la république ne viennent pas devant le parlement apparaît, à l’issue de la première d’hier, difficilement justifiable. Sauf à vouloir coûte que coûte copier les mœurs en vigueur à Washington.
Robert Badinter , ancien président du Conseil Constitutionnel relève qu’à l’inverse de la nation américaine nous ne sommes pas un Etat fédéral. Ce viol de la séparation des pouvoirs n’est que le caprice d’un président qui ne supportait pas de ne pas pouvoir venir devant le parlement et qui plutôt que de se plier aux règles constitutionnelles, préfère les modifier.
L’ancien sage de la rue de Montpensier rappelle qu’il y avait une logique constitutionnelle à ce que ce soit le Premier ministre qui s’exprime devant le parlement et non le président. Simplement parce que celui-ci peut dissoudre l’Assemblée mais que l’inverse n’est pas vrai. Et de conclure “Encore un pas dans l’hyperprésidentialisation du régime. Encore un pas vers la diminution du pouvoir du parlement“. “C’est un mauvais coup porté aux institutions“. “Je référerais le passage à un régime présidentiel à un régime hyperprésidentiel hypocrite“.
L’ancien Garde des Sceaux est formel. Le président à tous les moyens pour s’exprimer, il n’a pas besoin de réunir les parlementaires pour ça. Corrosif, Robert Badinter estime que le vrai rite c’est la conférence de presse présidentielle. ” C’est beaucoup plus difficile de répondre à des journalistes informés sur des questions pointues devant la presse que de venir en majesté escorté de quelques ministres plein du bonheur de suivre sa majesté dans la salle du Congrès. Et puis, au mouvement du roulement de tambour, je délivre mon message et je m’en vais“.
Le sénateur des Hauts de Seine déplore que la modification voulue par l’Elysée n’ait pas été assortie d’un débat sans vote. “Ce qui me choque le plus c’est qu’il ne reste pas là“. “Le président s’en va, on s’en va.”
Pourquoi dans ces conditions aller cautionner cette opération médiatique ? Simplement parce que les républicains se doivent de respecter la Constitution. L’ancien président du Conseil Constitutionnel ne pouvait dire autrement. “Nous parlementaires sommes tenus de respecter la Constitution. Le président nous convoque, nous y allons. Nous écouterons mais nous ne participeront pas à un débat ensuite“. ” Il nous parle de haut en bas et après il s’en va et nous laisse débattre sans vote à la fin avec son représentant.” Cette première constitutionnelle aura surtout été un enterrement en grandes pompes de la fonction de premier ministre.
Rateau de Versailles. Libération reste fidèle à ses titres chocs. Il n’y a bien qu’Etienne Mougeotte du Figaro à avoir décelé un souffle dans le discours présidentiel. La prestation est globalement jugée décevante d’autant que Robert Badinter le matin faisait ses comptes. “Ca coûtera 5 000 € la minute. C’est certainement l’éloquence la plus chère que je connaisse.”
Nicolas Sarkozy n’a pas gagné hier ses galons d’Homme d’Etat, écrasé par un décor trop grand pour lui. A la place d’épaulettes, le député René Dosière a plutôt vu des talonnettes : “Nicolas Sarkozy n’a été qu’à la hauteur de sa taille (…)”.
Le jugement est sévère mais sans commune mesure face au tir de barrage de Médiapart qui se positionne comme le premier quotidien d’opposition. Edwy Plenel voit dans le spectacle versaillais le sacre d’un Homme dans l’abaissement de notre démocratie. François Bonnet juge que “de ce discours, il ne reste déjà rien. Sauf ce constat : il y a le feu dans les finances de l’État“.
Plus inquiétant encore, Laurent Mauduit démontre les dangers de la fausse bonne idée de grand emprunt au regard des expériences calamiteuse passées, notamment l’emprunt Balladur à une époque où le ministre de l’économie était un certain Nicolas sarkozy. “Le grand emprunt on le fait déjà tous les jours” relève avec bon sens le député Villepiniste François Goulard .
Alors pourquoi ? Pour des raisons purement politiques selon Laurent Mauduit , la recherche d’un plébiscite financier. Recette éculée qui consiste à dramatiser les situations pour faire émerger une introuvable cohésion nationale et mieux bâillonner toute opposition.
L’ego. Toujours l’ego du président. Ce que Robert Badinter décrit comme un “narcissisme inoui”. On sait pourtant comment Narcisse a fini. Pas mieux qu’un certain Icare . Une leçon que devrait méditer celui qui s’est pris un peu vite pour le président soleil.