Le 23 juin 1959, un mardi matin, Boris Vian assiste au cinéma Le Petit Marbeuf à une projection privée du film tiré de son roman J'irai cracher sur vos tombes. A sa demande, son nom n'apparaît pas au générique - il trouve l'adaptation mauvaise. Ce jour-là, Boris Vian n'en verra que dix minutes avant d'être victime d'une syncope, victime d'un oedème pulmonaire. Transporté à l'hôpital, il y meurt à midi. Il avait 39 ans.
Aujourd'hui, 23 juin 2009 - encore un mardi -, il est toujours vivant, il a 89 ans et son oeuvre résiste au temps.
Je n'aime pas trop les commémorations. Mais celle-ci a quelque chose de singulier. Elle arrive à un moment où, après des années d'un relatif purgatoire pendant lesquelles ses livres n'ont cessé d'avoir du succès tout en étant méprisés par les intellectuels, il a enfin retrouvé sa place parmi les siens: créateurs de haut vol, transgresseurs de bonnes manières, inventeurs de mots...
Marc Lapprand et François Roulmann, dans un livre bref mais dense et très illustré, retracent cette trajectoire fulgurante dont les (saines) retombées n'ont pas fini de nous contaminer. Boris Vian. Si j'étais pohéte s'ouvre avec la musique, première passion. Se poursuit avec le roman, le théâtre et la scène. Et se clôt trop vite, bien sûr.
Sans oublier les autres romans, les poèmes, les articles (en particulier sur le jazz), L'écume des jours reste un monument de sensibilité. Je l'ai relu il y a un an ou deux - et je tremblais, de peur de ne pas y retrouver la magie qui m'avait séduite autrefois. J'avais tort de trembler: la magie opère toujours.
Bientôt, Boris Vian sera pléiadisé, recouvert de cuir, rangé dans toutes les belles bibliothèques d'où les livres ne sortent pas souvent, sinon pour en enlever la poussière. Tant pis pour ceux qui passeront une fois encore à côté de celui qui n'appartiendra pourtant jamais à la catégorie des bien-pensants. Et tant mieux pour tous les autres.
La preuve en musique (ou plutôt en paroles): On n'est pas là pour se faire engueuler!
Un beau matin de juillet, le réveil
A sonné dès le lever du soleil
Et j'ai dit à ma poupée : faut te s'couer
C'est aujourd'hui qu'il passe
On arrive sur le boulevard sans retard
Pour voir défiler le roi d'Zanzibar
Mais sur-le-champ on est r'foulés par les agents
Alors j'ai dit
On n'est pas là pour se faire engueuler
On est là pour voir le défilé
On n'est pas là pour se faire piétiner
On est là pour voir le défilé
Si tout le monde était resté chez soi
Ça f'rait du tort à la République
Laissez-nous donc qu'on le regarde
Sinon plus tard quand la reine reviendra
Ma parole, nous on r'viendra pas