Bien que dans l'article de mardi dernier, je vous aie donné rendez-vous aujourd'hui, ami lecteur, au devant de la salle 5 du Département des Antiquités
égyptiennes du Musée du Louvre, j'ai résolu, dérogeant ainsi à mes habitudes, en raison non seulement de demandes qui m'ont été adressées par quelques lecteurs parmi les plus fidèles,
mais aussi de la période de vacances se profilant à l'horizon, et dont je vous entretiendrai le mardi 30 juin prochain, d'abandonner mon projet initial de visite.
Samedi, souvenez-vous, je vous ai proposé la transcription et la traduction d'un des 56 scarabées
dits du mariage du très jeune pharaon Amenophis III et de la non moins jeune Tiy.
Je voudrais ci-après, aux fins de répondre à certaines questions donc, quelque peu analyser cette inscription, et m'attarder sur la titulature royale qui
l'introduit.
Il est de tradition, dans les articles d'égyptologie qui contiennent des textes hiéroglyphiques, originellement inscrits, sur un papyrus ou de la pierre, de droite à
gauche ou de haut en bas, de les publier dans le sens même de notre propre écriture, c'est-à-dire de gauche vers la droite. Et même si, la semaine dernière, je n'ai pas respecté cette
convention dans l'unique but que vous puissiez mieux comparer et le texte antique et sa transcription moderne, je vais ci-dessous, pour une question de facilité, me conformer à cette façon
de procéder.
Le texte, comme je l'ai précisé, commence par les cinq noms du souverain. Certes, je vous avais déjà familiarisé voici un an, en mai 2008 exactement, avec cette importante notion qu'était la titulature royale égyptienne. Toutefois, et pour ceux qui n'étaient pas
encore à l'époque lecteurs de mon blog, ou ceux qui auraient oublié les principes de cette énumération, vous m'autoriserez, avant de décliner celle d'Amenhotep III gravée sur le scarabée ÄOS
3878 du Musée de Vienne, de brièvement rappeler les différentes parties qui composent semblable nomenclature.
3. Le troisième,
le nom d'Horus d'or, (composé du signe du faucon, personnification de Rê,
et de celui du collier d'or réunis en un monogramme), liait la personne royale à celle de l'Horus solaire et céleste.
4. Le quatrième nom, (souvent appelé prénom ou nom de règne ou de trône), celui de "Nesout-bity" (= "Celui du Roseau et de l'Abeille", que nous traduisons par "Roi de Haute et Basse-Egypte"), entouré d'un premier cartouche, assimile le roi à la faune et à la flore symboliques de chacune des deux parties de son royaume : le
jonc, pour la Haute-Egypte et l'abeille pour la Basse-Egypte.
Est-il vraiment besoin que je rappelle que les égyptologues nomment "cartouche" un
ovale représentant une boucle de corde nouée à l'une de ses extrémités ressemblant à une petite barre rectiligne. Le terme "chenou" qui le désigne en égyptien ancien dérive en fait d'un
verbe qui signifie "encercler". Il faut ainsi comprendre que les deux derniers noms du souverain inscrits dans ce graphisme permettent non seulement d'être clairement isolés, donc de
mettre Pharaon en évidence, mais aussi de symboliquement le qualifier de "Maître de ce que le disque solaire entoure"; en clair : le maître de l'Egypte entière.
Des cinq noms du roi, c’est celui-ci qui est passé à la postérité, devenant ainsi le plus connu du public.
Envisageons à présent, voulez-vous, la titulature royale
d'Amenophis III en reprenant la transcription moderne ci-dessus :
1. Le nom d'Horus : Taureau puissant qui apparaît en Vérité
Les cinq hiéroglyphes situés après le faucon
Horus qui donnent donc le premier nom de cette titulature sont ici précédés du signe de vie "ankh" que l'on peut traduire par "Que
vive ..."
2. Le nom des "Deux Maîtresses" :
Les deux premiers hiéroglyphes de gauche, représentant un vautour et un cobra, introduisent le deuxième nom du souverain que l'artiste a gravé sur ce
scarabée : Celui qui établit les lois et apaise les Deux Terres; cette dernière dénomination, évoquant évidemment
les deux parties du pays sur lesquelles règne Pharaon, à savoir respectivement la Haute et la Basse-Egypte.
3. En troisième position vient le nom d'Horus d'or que personnifie le faucon posé sur un collier d'or : Grand par la vaillance et qui frappe les
Asiatiques; ce dernier terme généralisant les ennemis traditionnels de l'Egypte.
Les trois derniers petits cercles, tout comme
d'ailleurs ceux au milieu du nom qui précède, correspondent à la marque du pluriel en égyptien, parfois aussi notée grâce à trois petits traits verticaux.
Les deux derniers noms de toute titulature figurent à l'intérieur d'un cartouche. Le premier d'entre eux, le quatrième nom donc de l'ensemble de la nomenclature
quand elle est complète, est introduit par la représentation d'un roseau, symbole de la partie Sud du pays (Haute-Egypte) et d'une abeille, personnifiant le Nord (Basse-Egypte).
C'est dans ce premier cartouche qu'est indiqué le nom d'intronisation du souverain : de gauche à droite, le soleil "Rê" que l'on note en première position
dans la mesure où il s'agit d'un dieu, mais qui se lira en dernière. Sous ce premier hiéroglyphe, la corbeille "neb", que l'on traduit par "maître" et enfin la
représentation de la Vérite/Justice personnifiée par la déesse Maât, portant une plume sur la tête.
L'ensemble se lit donc Nebmaâtrê et peut se traduire par "Maître de la Vérité/Justice de Rê".
Enfin, en cinquième et dernière position, également dans un cartouche, se place traditionnellement le nom sous lequel l'Histoire, le plus souvent, a retenu le monarque.
Il est précédé des hiéroglyphes du canard et du soleil (= Fils de Rê)
Nous avons, à l'intérieur de cet ultime ovale, de gauche à droite, les trois premiers signes figurant le nom Amenhotep (Amon est satisfait) qui fut donc celui que l'enfant reçu à la naissance, suivi de deux hiéroglyphes signifiant "Souverain de Thèbes".
Et pour terminer cette évocation, deux signes indiquant qu'il était "doté de vie".
Immédiatement à la suite de cette inscription qu'un lapicide grava sur le plat du scarabée, sans transition aucune, apparaît le nom, lui aussi dans un cartouche, de
la reine Tiy, précédé de son prestigieux titre de "Grande épouse royale" :
L'expression se compose d'un premier hiéroglyphe, le jonc des marais, qui fait référence au roi de Haute-Egypte (noté à l'extrême fin de la première ligne de la
transcription moderne reprise ci-dessus), que l'on traduit ici par "royale"; du hiéroglyphe "hem" placé au-dessus du
demi-pain correpondant au "T" et concrétisant la marque du féminin en égyptien classique, les deux signes ensemble se lisant "hemet" et signifiant "épouse" ; puis des dessins de la petite caille et de la bouche, se lisant "our", accompagnés, une fois encore, de la marque du féminin puisque tous
ces termes se rapportent à Tiy. Ces trois derniers signes avant le cartouche se lisent "ouret" et signifient "grande".
L'ensemble de ces six hiéroglyphes présente donc le titre accordé par Amenophis III à sa jeune femme : Grande épouse royale,
tandis que dans le cartouche proprement dit se trouve inscrit le nom même de la reine Tiy (que d'aucuns écrivent parfois Tiyi ...). Le tout étant suivi du souhait : "Qu'elle vive" ...
Viennent ensuite, mais pas inclus dans un cartouche, puisqu'ils ne faisaient pas partie de la famille royale, les noms des parents de la reine; littéralement :
et
Et le texte hiéroglyphique du scarabée constituant une sorte de "carte de visite" du jeune couple de se terminer, comme je l'ai spécifié samedi dernier, par l'évocation des frontières de cette glorieuse Egypte de la XVIIIème dynastie sur laquelle
Amenhotep III et Tiy allaient régner quelque 38 années avant qu'elle ne soit aux mains de leur fils, Amenophis IV/Akhenaton, de sa révolution religieuse et de ses conceptions totalement nouvelles
en matière artistique.
Mais ceci est déjà une autre histoire ...