Promenades

Par Richard Le Menn

Avant les années soixante-dix, en France tout le monde s'adonne largement à la promenade. Au XVIIIe siècle et avant, les femmes de l'aristocratie en particulier y trouvent un divertissement intégré à leur emploi du temps journalier consacré presque exclusivement au loisir. La promenade de l'après-déjeuner (en début d'après-midi) est une des plus importantes peut-être.
Premières photographies : Gravure de F. Aveline le fils d'après Mondon : " Le Temps de l'Après dîner  / Délicieux jardins, agréable verdure, / Beaux parterres que Flore enrichie de ses dons, / D'un livre ingénieux souvent sur vos gazons / On se plaît à goûter l'amusante lecture. / Plus vif dans mes plaisirs, pour moi j'aime bien mieux / Accompagner Philis, et lire dans ses yeux / Qu'au fond de vos bosquets un solitaire asile, / A nos tendres ardeurs deviendrait fort utile."

François Grenaille (1616-1680) occupe tout un chapitre de son livre consacré aux divertissements des dames (Les Plaisirs des dames, 1641) à la promenade. Il nous apprend qu’au XVIIe siècle elle est considérée comme " un des plus doux divertissements des Dames. " L’auteur lui écrit une apologie fort instructive. Elle fait du bien à l’esprit, au corps et entretient " le doux commerce du monde ". Jusqu’au début du XXe siècle, elle garde ces buts. On se promène dans les jardins parisiens, sur les boulevards et au bois de Boulogne pour ces trois raisons dont l’entretien du corps et de l’âme (l’hygiène) n’est pas la dernière. Toute la sociabilité des français qui est une de leurs qualités principales s’y exprime gracieusement. On la considère comme une occupation saine. Dans ce chapitre, comme dans les autres, François de Grenaille expose le bon et le mauvais de ces occupations. Il est intéressant de constater combien il traite sérieusement ces thèmes que ce soit ici ou dans d’autres de ses livres comme dans La mode, ou Caractère de la religion, de la vie, de la conversation, de la solitude, des compliments, des habits et du style du temps (1642) où il s’occupe de la mode d’une façon très singulière, en la critiquant vivement tout en se baignant complaisamment dedans. On y apprend beaucoup de choses notamment sur le Cours dont je parle dans un autre article. La promenade est un moment qu’apprécient vraiment les petits-maîtres français comme l’écrit l’auteur dans ce même chapitre : " Vous verrez parfois des Coquettes qui ont mal aux pieds quand il faut aller à l’Eglise, & se portent fort bien s’il faut aller aux Tuileries. Elles ont mille affaires quand on leur parle d’entendre Vêpres, mais elles n’en ont point quand il faut aller au Cours. Un Sermon de trois quarts d’heure les ennuie ; & la cajolerie de tout un jour leur semble trop courte. " Ces promenades sont souvent très bucoliques mais pas solitaires. On y fait de multiples et agréables rencontres, surtout dans les bois, jardins, et cours réputés. Durant la promenade, les sens sont tout autant occupés au passage des saisons, aux chants des oiseaux, à la beauté de la nature sauvage ou maîtrisée, qu’aux beautés humaines qui paradent, aux discours qui s’alimentent, aux oeillades qui se lancent, aux distractions qui la jalonnent et qui peuvent être de toutes sortes (marchands, artistes, jeux …). Louis XIV et sa suite apprécient de flâner dans les jardins ‘à la Française’ de Le Nôtre (1613-1700) du château de Versailles, et de très nombreux documents iconographiques nous le présentent ainsi. La promenade est un moment important de l’élégance parisienne ; surtout lorsqu’elle se fait dans les endroits à la mode, comme aux Tuileries, au Palais Royal, sur les Champs-Elysées, au bois de Boulogne, au Cours ou sur les boulevards où l’on fauche le persil selon l’expression. Des personnes font profession de louer des chaises dans ces endroits. Ainsi de véritables salons improvisés se forment ; et pas seulement dans les jardins, mais aussi sur les boulevards et autres lieux chics. Dans sa gravure datant de la fin du XVIIIe siècle intitulée La promenade publique, Philibert-Louis Debucourt (1755-1832) décrit avec ironie toute l’agitation d’une de ces balades au goût du jour. Certains flâneurs ont des allures de philosophes conversant autour d’une table ; un très jeune garçon offre des rafraîchissements ; des galants sont assis acrobatiquement sur leur chaise (un tombe à la renverse) ; et toutes sortes de personnes folâtrent. Une aquatinte de Louis Le Coeur (actif de 1785 à 1823) datant de 1787 dépeint comme son titre l’indique, une Promenade du jardin du Palais-Royal, au milieu de petits pavillons où s’ébattent très civilement des personnes de tous âges. Une estampe de la toute fin du XVIIIe siècle du graveur Etienne Claude Voysard (1746-vers 1812) d’après Claude-Louis Desrais (1746-1816) intitulée Petit Coblentz ou promenade du boulevard des italiens est encore plus intéressante car elle expose des élégances musardant, certaines assises sur des chaises d’autres baguenaudant. Tous les protagonistes ont des habits de merveilleuses et d’incroyables très à la mode à la fin du XVIIIe et au début du siècle suivant. Ce sont les prémices du chic du XIXe du boulevard des italiens et de ses plaisants qui y sont dessinés. Certaines promenades se font à cheval ou en équipage comme au bois de Boulogne ou sur les Champs-Elysées au XVIIIe siècle … ou même en vélo pour les promenades hygiéniques à partir de la fin du XIXe siècle. Antoine Charles Horace Vernet (1758-1836) décrit en des traits un peu caricaturaux la Promenade de Longchamp (au bois de Boulogne) dans une estampe de 1803. Certains hommes portent de hauts chapeaux bicornes, les femmes des tuniques aux plis gracieux. Ces personnages sont assis sur des chaises, debout, marchant, à cheval ou en carrosse. Certains jardins sont célèbres pour les attractions qui s’y donnent ; comme celui de Tivoli dans le nord de Paris où on danse, boit dans des petits bosquets aménagés pour la collation, joue à des jeux, regarde des spectacles pyrotechniques ou autres, contemple des automates ou des magiciens etc. Le jardin Beaujon est connu pour ses montagnes françaises (dans le genre des actuelles montagnes russes) ; les jardins des Champs-Elysées au XIXe siècle pour leurs bals et l’animation festive qui y règne etc. A certains moments et époques, les jardins de Saint-Cloud, à l’ouest de Paris, accueillent des fêtes ; et même tous les quartiers et rues de Paris ont leurs moments festifs. Certaines promenades sont philosophiques, d’autres botaniques (Jean-Jacques Rousseau a l’habitude de botaniser dans les jardins de Paris et dans les alentours bucoliques de la capitale), d’autres beaucoup plus simples. Tout le monde se promène alors ! Un homme est appelé suiveur au XIXe siècle lorsqu’attiré par une fille qui semble être docile ou pour engager une conversation la suit. Dans Trop de chic (1900), Gyp décrit le quiproquo d’une femme qui se croyant suivie par un homme qui lui plaît avance en minaudant puis rentre dans un magasin et achète de nombreux articles pour que le monsieur l’accoste avant de s’apercevoir que celui-ci y vient chercher son amie. Dans ses Mémoires, Paul Charles François Adrien Henri Dieudonné Thiébault (1769-1846) raconte comment en voyant pour la première fois une femme d’une beauté remarquable montée dans son carrosse, il la poursuit en courant à travers les boulevards, parcourant ainsi près de la moitié de Paris. La promenade est le moment où on découvre d’autres personnes, s’aventure, se lance des ‘oeils’ (des oeillades) de toutes sortes, prend des positions de bon aloi et parfois fait des rencontres. Dans les textes du XIXe siècle qui relatent cela, c’est la femme qui semble mener la danse …

Dernières photographies : Elégants se promenant. Les gravures peintes sont de la fin du XVIIIe siècle ; les autres proviennent de l'Almanach de Goettingue (1788) : " Orné de taille-douces gravées par Chodowiecki, avec les modes les plus modernes des Dames et des Cavaliers ... "

Par La Mesure de l'Excellence - Publié dans : La Mode
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