On peut aussi s’émerveiller devant la sûreté de son regard et de sa capture à la sauvette, ainsi de la vue de Simiane qu’Yves Bonnefoy raconte prise à la volée, d’un geste négligent tout en poursuivant sa conversation en traversant la place du village et où les lignes sont droites et les poses évidentes de simplicité. On peut sourire devant l’apparition, au bas de la photo des bonnes soeurs processionnantes de Tralee en Irlande, de la dentelle du bord du film, preuve dudit non-recadrage, mais que j’ai lu aussi comme une évocation surréaliste des dessous des jupes de ces nonnes. On peut se sentir complice de son émoi face aux seins nus d’une jolie Balinaise à Ubud en 1949, ayant ressenti la même émotion au même endroit 50 ans plus tard. On peut aimer le voyageur qui disait “Une fois arrivé quelque part, j’ai presque toujours le désir de m’y établir pour mieux encore mener la vie du pays” et moins aimer l’”humaniste” aux images parfois trop simplistes. Sa prose limpide et épurée fait un contraste saisissant avec le discours ampoulé que Michel Terrapon tint en 1975 lors de la première occurrence de cette exposition à Fribourg, tel qu’on peut le lire dans une des vitrines.
Car, et c’est là le grand intérêt de cette exposition, il s’agit d’une re-création, d’une exposition d’exposition. Cartier-Bresson donna 73 tirages de cette exposition fribourgeoise au Musée en 1982 et ce sont ces mêmes tirages qui sont à nouveau présentés ici, certes selon une séquence différente, mais dans un esprit similaire. C’est un peu une mise en abyme, un discours critique sur l’exposition (qui va fort bien de pair avec l’exposition deux étages au-dessus sur Bernard Lamarche-Vadel, dont je parlerai bientôt). C’est une exposition qui nous permet de voir le chemin accompli en moins de trente ans quant à la reconnaissance de la photographie comme art.
À noter le montage cinématographie de ses planches contacts (sur une idée de William Klein !!) présenté au fond de l’exposition : j’aurais aimé un diaporama moins ‘poétique’ (et sans musique) mais nous permettant de mieux comprendre quelle image il décidait de tirer, d’essayer de cerner son choix, son regard. C’est en fait assez frustrant. Heureusement, il y a sa voix !
On peut utilement lire les actes du colloque sur HCB l’an dernier, intitulé Revoir Cartier-Bresson (en vente chez Dessin Original à 27.55 euros), qui conjugue la vision traditionnelle humaniste sur HCB, et des approches plus novatrices, comme celle de Michel Poivert à propos de son influence sur la photographie d’aujourd’hui.
Photos copyright Henri Cartier-Bresson / Magnum. Les reproductions seront ôtées du blog à la fin de l’exposition.