Or derrière les sourires de circonstance et les accords de convenance, il se pourrait bien qu'en coulisse le bras de fer de l'Amérique soit en train de s'abattre, une fois de plus, sur un État italien à "souveraineté limitée".
En clair, un pays à souveraineté limitée est un pays qui n'est pas maître chez soi, ce qui fut pendant des décennies la réalité italienne, la réalité d'un pays sous influence durable, d'une Italie limitée dans ses choix "démocratiques" depuis l'après-guerre.
Une réalité historiquement documentée dont je citerai un seul exemple parmi tant d'autres : le 3 août 1995, Giovanni Motzo, Ministre pour les Réformes Institutionnelles de l'époque (déjà...), déclarait dans une interview au journal "Avvenire" :
Au cours de la dernière décennie, des événements concrètement liés à l'existence d'accords secrets internationaux ont fait ressortir une situation de véritable incertitude constitutionnelle.Le journaliste, Antonio Mira, lui rétorque :
Journaliste : - Monsieur le Ministre, qu'entendez-vous par là ?Bref aperçu historique : issu des cellules stay-behind coordonnées par l'OTAN au sortir de la deuxième guerre mondiale, présentes dans plus d'une dizaine de pays d'Europe de l'Ouest, le réseau Gladio (mot italien pour "glaive") était initialement l'organisation clandestine italienne correspondante, théoriquement chargée de combattre une éventuelle invasion de l'URSS et des pays du Pacte de Varsovie, justement en agissant "derrière les lignes".
Ministre : - Je me réfère aux accords exécutifs qui ne passent pas devant le Parlement mais sont signés exclusivement par le Gouvernement. Ces documents, top secrets, régissent habituellement les questions relatives aux bases militaires étrangères et de l'OTAN en Italie, au quartier général de l'OTAN, au transit et au séjour des troupes.
(...)
J. : - Certains évoquent une souveraineté limitée de notre pays...
M. : - En partie, ils ont raison.
J. : - C'est la première fois qu'un gouvernement met en doute la légitimité de ces secrets.
M. : - Eh bien, il serait temps. Pensez que l'accord bilatéral États-Unis-Italie signé en 1961 est toujours en vigueur.
J. : - En connaissons-nous le contenu ?
M. : - Il y en aurait deux versions... Nous en connaissons quelques articles. Où l'accord prévoit que les Etats signataires s'engagent à se prêter assistance mutuelle, et prévoit également l'envoi de conseillers militaires américains en Italie.
Je vous laisse approfondir en suivant les liens de Wikipédia si ça vous intéresse, mais le concept de "souveraineté limitée" que je souhaite approfondir ici n'est présent sur aucun des deux articles, français et italien.
Pour qui parle italien, je recommande donc chaudement cette leçon de Gianni Barbacetto, tenue le 3 décembre 2008 à l'Université Roma Tre, où le journaliste affirme même qu'en Italie aucun président du conseil n'aurait pu occuper ce poste sans l'aval des américains...
En clair, quand bien même élu par le peuple, le président du conseil italien avait besoin de recevoir une habilitation NOS (Nulla Osta Sicurezza) des services secrets militaires italiens, directement assujettis au bon vouloir de la CIA ! Un aspect que n'aborde absolument pas le rapport Andreotti sur Gladio, bien sûr.
Essayez, juste un instant, de transposer une telle situation à la France...
Bon, ceci dit, en Italie le gouvernement a officiellement dissous le réseau stay-behind le 27 novembre 1990, et les choses ont dû changer depuis, pour autant que l'on sache (car, pour le moins, 5 ans après la dissolution du réseau, les propos du Ministre Motzo peuvent laisser planer quelques doutes)...
Donc, pour en revenir à Barbacetto, selon lui, cette "souveraineté limitée" est théorisée par la doctrine Truman, qui tire son nom du fameux discours prononcé le 12 Mars 1947 par le président américain Harry Truman sur la disponibilité des Etats-Unis d'intervenir dans toute région du monde, menacée par les Soviétiques et intoxiquée par le communisme.
Pour l'Italie, on retrouve trace de cette "doctrine Truman" dans différents documents du National Security Council (NSC) :
- Le document NSC n° 1/3 du 8 mars 1948, à la veille des élections cruciales du 18 avril suivant, pose directement le problème de la possible conquête du pouvoir par les communistes « par des moyens légaux », auquel cas les États-Unis devraient immédiatement répondre, y compris en fournissant une assistance financière et militaire à la base anti-communiste italienne. N'oublions pas que le 3 avril 1948, le congrès américain adoptait le plan Marshall pour la reconstruction de l'Europe après la deuxième guerre mondiale.
- Le document NSC n° 10/2 du 18 juin 1948 affirme que les activités officielles à l'étranger seraient accompagnées d'opérations "couvertes" pour qu'il ne soit pas possible de remonter à la responsabilité du Gouvernement des États-Unis.
- Le document NSC n° 67/3 du 5 janvier 1951 (indisponible dans son intégralité, aujourd'hui encore, puisqu'une bonne partie reste sous secret militaire), prévoit explicitement des initiatives des États-Unis « pour empêcher la prise du pouvoir par les communistes. »
Je ne veux pas dire par là que tout ce qui s'est passé ensuite est à mettre au crédit de Stay-Behind, puisque de tous les pays où les armées secrètes de l'OTAN étaient présentes, seule l'Italie a connu de telles dérives, et dans de telles proportions.
Avec comme but évident de terroriser la nation pour affaiblir le Parti communiste qui se renforçait, et pour induire le peuple - plutôt de force que de gré - à accepter "le" pouvoir voulu par des "instances supérieures", à son insu, bien évidemment.
Naturellement, l'état faisait partie intégrante de cette stratégie. Un exemple entre tous, parfaitement avéré, est celui des "affiches chinoises", dans le sillage des opérations "false flag", qui consista, en février 1966, à tapisser les murs de Rome, Milan, Mestre, Venise, Padoue, etc., d'affiches de propagande pour la Chine maoïste divulguées par de fantomatiques groupes communistes italiens filo-chinois.
En réalité, toute l'opération fut montée par Federico Umberto D'Amato, chef du Bureau des Affaires réservées du Ministère de l'Intérieur de l'époque ! Idem pour l'attentat de piazza Fontana :
Imaginé avant 1968 pour contrer le "péril communiste" par Federico D’Amato, chef du bureau des affaires réservées du ministère de l’intérieur, membre de la loge P2 et Yves Guillou alias Guérin-Serac, néo-fasciste français, ce 12 décembre 1969 inaugurait la "stratégie de la tension". Le principe clairement exprimé dans un document intitulé "Notre action politique" consiste à réaliser des attentats meurtriers dans des lieux publics et à les revendiquer au nom de l’extrême gauche. "Quand on les frappe et qu’ils ne peuvent pas se défendre, les petites gens vont réclamer un Etat fort", déclarera Delfo Zorzi, un néo-nazi qui a avoué à deux reprises avoir participé à l’attentat de la piazza Fontana.Membre de la loge P2, j'y reviendrai...
Mais Gladio n'est pas la seule preuve historique de la mainmise des américains sur l'état italien. J'ai récemment rendu compte sur mon blog italien de l'Anello della Repubblica, l'Anneau de la République, une organisation encore plus secrète, clairement appuyée par la CIA et quasi certainement manipulée par Andreotti, qui fut vraiment de tous les coups...
Or donc, dans cette continuité historique qui dure maintenant depuis plus de soixante ans (!!!), paradoxalement, le seul homme d'état capable d'imposer une rupture aura été ... Silvio Berlusconi !
Lorsque les premières rumeurs sur un complot à son égard ont commencé à circuler, il y a quelques jours, j'ai été le premier à penser qu'il s'agissait d'une idiotie. Or mon raisonnement était motivé par le fait que Berlusconi mélangeait tout et le contraire de tout dans les ingrédients du complot, de sa femme à Mills, de Noemi à l'utilisation abusive d'un avion d'Etat, révélée par le photographe Antonello Zappadu.
Et puis petit à petit j'ai commencé à mettre en relation cette déclaration de Berlusconi avec une autre déclaration, faite en 1972 par Arnaldo Forlani, signalée par Stefania Limiti dans L'Anello della Repubblica (p. 88-89), et relatée par Giovanni Pellegrino, Président de la Commission parlamentaire d'enquête sur le terrorisme en Italie et sur les causes de la non-identification des responsables des massacres, lors de la séance du vendredi 18 avril 1997 :
Le président Pellegrino s'adresse à Forlani :Des mots sibyllins que Forlani a prononcés en public mais qu'il s'est bien gardé d'expliciter par la suite... Des mots qui dénonçaient ouvertement un complot, mais sans dire lequel, bien sûr.
Il est notoire que vous avez tenu, en novembre 1972, lors d'une réunion publique à La Spezia, des propos d'une extrême gravité. Vous avez notamment déclaré :« Nous venons d'assister à la tentative la plus dangereuse que la droite réactionnaire ait jamais tenté et réalisé depuis la Libération jusqu'à nos jours. Une tentative de désagrégation tramée par une organisation forte disposant de puissantes ressources financières et de soutiens solidaires non seulement internes, mais probablement aussi internationaux, une tentative qui n'est pas encore terminée : nous savons en effet, documents à l'appui, qu'elle est encore en cours.(E’ stato operato il tentativo più pericoloso che la destra reazionaria abbia tentato e portato avanti dalla liberazione ad oggi. Questo tentativo disgregante, che è stato portato avanti con una trama che aveva radici organizzative e finanziarie consistenti, che ha trovato delle solidarietà probabilmente non soltanto di ordine interno, ma anche di ordine internazionale, questo tentativo non è finito. Noi sappiamo in modo documentato che questo tentativo è ancora in corso.)
Idem pour Berlusconi, qui parle de complot en essayant de noyer le poisson, c'est-à-dire en accusant tous et n'importe qui sans désigner nommément les États-Unis. C'est tout juste si, de temps en temps, lui et ses porte-parole font allusion à l'intervention de services étrangers.
Ceci dit, de plus en plus de voix s'élèvent en Italie pour remarquer cette situation. À commencer par Gioacchino Genchi, qu'on n'accusera certes pas d'être un pro-Berlusconi, et qui constate avec raison que les quelque 5 000 photos prises par Zappadu n'ont absolument pas pu l'être sans des complicités internes, puisque "d'autres photographes avaient déjà tenté le coup avant d'être arrêtés dans les minutes qui suivirent".
Il compare même les photos prises à l'aéroport, dont quelqu'un a forcément averti le photographe des dates et heures de vol et des personnes qui se trouvaient à bord, avec la taupe qui avertit Brusca que Giovanni Falcone venait d'atterrir...
Du reste, on ne prend pas 5 000 photos en un jour mais sur des mois, voire des années, et l'on se surprend de voir que le photographe les a gardées sous le coude pendant tout ce temps sans jamais en parler à personne, en attendant juste le bon moment pour les sortir au compte-gouttes mais suivant un rythme de publication savamment orchestré, puisqu'il a déjà averti que la prochaine série concernerait un faux mariage de Berlusconi avec une jeune fille, le "couple" étant entouré par un nuage d'autres jeunes filles...
Je vous laisse imaginer l'impact sur l'opinion publique. Mais c'est aussi et surtout une menace à peine voilée pour dire : après Noemi, après D'Addario, en voici d'autres, et derrière il y en aura d'autres, et d'autres encore...
Du genre, "maintenant, on va te casser" ! Fabrizio Cicchitto, autre célèbre colistier de Berlusconi sur les listes de la Loge Propaganda Due et actuel chef de groupe du PDL au parlement, s'en est d'ailleurs ému en se demandant ce qui se serait passé si l'on avait eu un tireur avec un fusil à lunette au lieu d'un paparazzi avec un appareil photo...
Un paparazzi un peu étrange d'ailleurs, plutôt photo reporter avec des accointances dans certains services, euh, disons ... secrets.
Il faut dire aussi que depuis longtemps, mais surtout dernièrement, les coups sur l'échiquier politique de Berlusconi sont à la limite de l'antiaméricanisme primaire. Fini la lune de miel avec Georges W. Bush ! :-)
C'est ainsi que Paolo Barnard, un journaliste sui generis, observe avec justesse que l'affaire Noemi n'est qu'un prétexte violemment invoqué par le Times, « bastion historique des conservateurs, porte-parole international des Conseils d'administration des plus grands groupes mondiaux », pour dissimuler des motifs bien plus graves : à savoir que Berlusconi doit avoir fait quelque chose qui n'a pas plu en hauts lieux, en suscitant la colère de ceux qui avaient parié sur lui outre Atlantique...
Sans quoi comment justifier que le séculaire quotidien sorte de ses gonds après 224 ans de tact purement britannique, en se lançant dans des attaques de bas étage du genre “Berlusconi est un clown”, “un bouffon chauvin”, un playboy pathétique, etc. ?
C'est ainsi qu'un blogueur, Gianluca Freda, nous propose une fine analyse où les dieux se déchaînent sur Berlusconi juste au moment où celui-ci serait sur le point de « favoriser la conquête d'une microscopique particule d’indépendance politique vis-à-vis des puissances étrangères qui tiennent depuis 65 ans l’Italie sous leur botte », c'est le cas de dire :
Certes, les tentatives de Berlusconi pour se démarquer n'ont jamais répondu à des intérêts politico-stratégiques clairvoyants d’autonomie nationale, mais uniquement à sa volonté mesquine de sauvegarder son propre pouvoir et de défendre son empire économique contre un encerclement de plus en plus rapproché.D'où son isolement aujourd'hui face à l'ogre américain dès lors qu'il affiche sa volonté de se rapprocher de la Russie, en signant le 19 mai dernier un contrat Eni-Gazprom sur le gazoduc russe alors que les américains ont un projet concurrent pour contourner la Russie, de recevoir Kadhafi avec tous les honneurs d'un chef d'état en lui laissant planter sa tente en plein cœur de Rome et comparer tout fier les États-Unis à Bin Laden (!), et encore de décider unilatéralement une mission de Frattini en Iran, sans le feu vert des États-Unis, ou enfin de laisser Tremonti appuyer la proposition chinoise de constituer un panier de “devises fortes”, autant d'initiatives dont Obama ne peut que fortement se réjouir, surtout par les temps qui courent...
...puisque depuis qu'il est arrivé en politique, il ne s'est intéressé qu'à ses affaires personnelles, en écrasant sous le talon de ses bottines tout ce qui risquait de limiter ses intérêts économiques, à commencer par le peuple italien.
En clair, ne pouvant plus se fier à Berlusconi, désormais totalement imprévisible et incontrôlable, aux États-Unis de plus en plus les instances au pouvoir doivent penser « !Tell the fucking spaghetti to do his own fucking business » !
C'est ainsi qu'un célèbre journaliste italien, Gad Lerner, conclut lucidement :
Raisonnons par l'absurde et donnons pour acquis que les théories du complot sont fondées, aussi bien celle selon laquelle Obama aurait un plan pour écarter Berlusconi, que celle indiquant Rupert Murdoch, éditeur de Sky et du Times, comme le stratège du discrédit antiberlusconien pour de basses raisons de concurrence télévisée. Nous devons alors considérer ces deux hypothèses également d'un point de vue extérieur. Pourquoi donc nos alliés ou des groupes médiatiques mondiaux devraient rester indifférents au fait qu'un groupe d'affairistes tournant autour du pouvoir absolu d'un seul individu est en train de prendre le contrôle d'un pays entier ? L'objection selon laquelle cela s'est fait par la voie d'un scrutin électoral ou que Berlusconi est fort du consentement d'une majorité d'italiens ne tient pas face à l'omnipotence sans scrupule avec laquelle il bafoue la séparation des pouvoirs qui garantit le maintien de la démocratie en Italie. Car lorsqu'il qualifie de délinquants criminels les juges et les journalistes qui enquêtent sur sa personne, ou lorsqu'il mélange avec la plus parfaite indifférence intérêt public et intérêts privés tant dans ses comportements que dans son mode de vie, alors il est temps de constater que le danger a déjà dépassé la cote d'alerte.On ne peut être plus clair.
Et que tous les électeurs de droite devraient entendre le signal d'alarme qui nous parvient de l'extérieur. Avant que le faux nationalisme ne se transforme en nouvelle fracture de la démocratie.
Donc en conclusion, si Berlusconi arrive au bout de son parcours politique, ce n'est sûrement pas moi qui pleurererai. Au contraire, ce jour béni je fêterai ça comme il se doit.
Par contre vu l'immense bordel que sa "disparition" du champ politique risque de générer tant à gauche qu'à droite que dans tout le pays, situation propice à tous les débordements..., j'espère juste que les italiens en particulier et tous ceux qui vivent ici ou s'intéressent à l'Italie en général, sauront réunir suffisamment de forces et d'intelligences pour faire en sorte que les ingérences du passé ne deviennent pas ENCORE celles du présent et de l'avenir.
Car comme le dit si justement Beppe Grillo dans sa récente lettre à un italien jamais né, écrite à l'avant-veille du cent-cinquantième anniversaire (2011) de la naissance de l'Italie et pétrie de sensibilité malgré les apparences :
Si vous trouvez que 150 ans c'est trop peu pour construire une nation, une seule année de plus pourrait bien s'avérer insupportable...Jean-Marie Le Ray
Se 150 anni sembrano pochi per costruire una nazione, uno solo in più potrebbe essere insopportabile.
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