Depuis un certain temps déjà, l’Inde se voit reprocher d’utiliser des pratiques protectionnistes à l’égard de son secteur des vins et spiritueux. L’Union européenne, comme les Etats-Unis et l’Australie, ont d’ailleurs déposé des plaintes auprès de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), exigeant un abaissement des barrières tarifaires supportées par les boissons alcoolisées à l’entrée du pays.
La dernière décision en date de l’OMC donne cependant raison à l’Inde.
Afin de mieux cerner le problème en question, il est nécessaire de rappeler que l’Inde est une fédération d’États qui ont chacun un parlement et un gouvernement. La vente de boissons alcoolisées est réglementée en interne par chacun des 28 États qui composent la “plus grande république du monde”. Chaque État a donc ses propres règlementations et sa propre politique fiscale et douanière.
Pour en revenir à ce qui nous intéresse, on constate que la consommation de vin en Inde est un phénomène quasi exclusivement urbain puisqu’elle se réalise à plus de 90% dans les villes de Delhi, Mumbai, Kolkata, Chennai et Bangalore, quelques capitales étatiques, Goa et enfin partout où se trouvent les grands hôtels de luxe. Il existe le cas particulier de certaines îles où la consommation boissons alcoolisées est répandue et qui sont soumises à des régimes spéciaux.
Pour les professionnels du secteur, travailler en Inde c’est un peu comme travailler dans une trentaine de pays différents. Plus particulièrement, la consommation de vin étant assez exclusive et réduite, notamment par rapport à celle de bière ou de spiritueux, les volumes sont petits. La faible importance économique de la filière vin est sans doute la raison pour laquelle les régulateurs n’y ont pas prêté une grande attention avant de la soumettre aux mêmes modalités d’importation que les spiritueux ou la bière.
Le problème date de juillet 2007 lorsque le gouvernement national, cédant à la pression de l’OMC, a retiré le “mutli-tier Additional Customs Duty” qui pesait sur les exportations de vins et spiritueux à destination de l’Inde. Le droit de douane pour ces produits a ensuite été augmenté de 100% à 150%. Au même moment passait un texte de loi permettant au gouvernement de chaque État d’imposer une taxe supplémentaire sur l’importation de ces produits, équivalente à celle prélevée sur les vins produits nationalement.
Ces surtaxes ont contribué à rendre le marché très hermétique et à décourager les exportateurs. Les droits de douane, surtaxes d’État comprises, pouvaient atteindre 550%, un niveau que les syndicats professionnels américains et européens considèrent exagéré. Le gouvernement de l’État de Tamil Nadu est sans doute celui qui est allé le plus loin dans cette politique protectionniste puisqu’il a tout simplement fermé son marché à tous les vins et spiritueux qui ne sont pas de provenance indienne.
Des accusations justifiées
Un des rares endroits où il était encore possible d’acheter du vin à des prix raisonnables en Inde était dans l’État de Karnataka. Les taxes sur la vente de vins étrangers y étaient les mêmes que pour les vins nationaux. Poussé par le lobby des wineries locales qui demandaient à ce que la production indienne soit protégée de la concurrence étrangère envahissante, le gouvernement d’État a élaboré une nouvelle taxation pour les vins importés. Tous les vins produits en dehors de Karnataka font donc l’objet depuis octobre 2008 d’une taxation alourdie de 300 roupies indiennes (4,5€) par litre. Les répercussions ont été immédiates puisque les ventes ont baissé de plus de 55% pour le dernier trimestre 2008 par rapport à la même période en 2007. L’État de Goa, lui aussi jadis un des endroits où les vins et spiritueux étaient les moins chers en Inde, a adapté sa taxation suite aux pressions des producteurs locaux. En avril 2008, la taxe sur les vins importés a doublé pour atteindre 100 roupies (1,5€) par litre dans l’objectif de “protéger les intérêts des industries locales”. En octobre 2008 finalement, une réforme a une nouvelle fois augmenté les taxes sur ces importations. Le nouveau système est évolutif et le montant de la taxe peut atteindre 600 roupies (9€) par litre pour les vins dont le prix de vente est supérieur à 3 750 roupies (57€) par bouteille soit parfois plus de 15% du prix de la bouteille.
Une politique qui fait mal à un secteur qui souffre déjà
Le secteur des vins et spiritueux en Inde est réputé pour être très dynamique avec des volumes qui augmentent annuellement de 25% malgré un macro environnement pas toujours très propice aux bons résultats. Cela dit la filière semble connaître d’importantes difficultés qui malheureusement se feront sentir sur l’année 2009. Les volumes échangés n’augmenteront certainement pas pendant l’année et la possibilité d’une contraction n’est pas écartée. Les importations de vins chuteront sans doute pour passer en dessous des 200,000 caisses entrées sur le territoire indien en 2008.
Du côté de la production nationale, les statistiques ne sont guère plus favorables. Les analystes tablent sur un taux de croissance avoisinant les 5%. Ces tristes perspectives pour 2009 proviennent de trois maux principaux :
1.la chute des dépenses des ménages indiens suite au ralentissement de l’économie mondiale ;
2.la contraction du tourisme après les attaques terroristes du 26 novembre 2008 à Mumbai ;
3.la dépréciation continue de la roupie indienne face au dollar qui au cours des 6 derniers mois a fait passé la parité de 40 roupies à 51 roupies pour un dollar.
Reste à ajouter à cette liste la hausse des barrières tarifaires pour les vins et spiritueux, une décision qui n’a économiquement que trop peu de sens. Les indiens devraient pourtant reconnaître mieux que quiconque que “la perle est sans valeur dans sa propre coquille” (dicton indien).