Certains s’étonneront peut-être d’apprendre qu’une chanteuse arabe est également parlementaire dans son pays. Cela se passe en Mauritanie où Malouma Mint Meidah (المعلومة بنت الميداح), membre du parti du Rassemblement des forces démocratiques (حزب التكتل من أجل الديموقراطية), a été élue en 2006, sans renoncer pour autant à sa carrière artistique.
La politique n’est pas une vocation tardive pour cette femme qui milite dans les rangs de la gauche arabe depuis le milieu des années 1980. Soutien du chef de l’opposition, Ahmad Ould Daddah, « l’ami du peuple » comme elle le nomme dans une des chansons, cette appartenance politique la place aujourd’hui plus que jamais dans l’opposition après le coup d’Etat du général Mohamed Ould Abdel Aziz en août dernier.
Aussi rebelle en musique qu’en politique, la « diva des sables » ne se contente pas de reprendre les traditions musicales perpétuées par sa famille, originaire du sud du pays. Au contraire, elle contribue à cette « contemporanisation de la tradition » (عصرنة التراث) qui caractérise la modernité arabe contemporaine et propose un nouveau blues africain, dans lequel les maqamât (modes) à la fois berbères et arabes typiques de la musique des « blancs » (البيضان) mauritaniens se marient aux rythmes africains (plus de détails pour les arabophones dans cet entretien publié par Al-Quds al-‘arabi).
Modernisé dans son langage musical, ce protest song d’aujourd’hui est également l’expression actuelle d’un placement politique qui s’inscrit dans l’histoire du pays. Dans l’entretien déjà cité, Malouma explique également que le chant a toujours constitué en Mauritanie – du moins jusqu’à l’arrivée des télévisions satellitaires – une forme de contestation politique, une sorte de « quatrième pouvoir » dans une société sans médias.
Impossible de résumer en quelques lignes l’histoire mouvementée – 15 coups d’Etat tout de même – de la Mauritanie depuis son accession à l’indépendance en 1960. Toutefois, après avoir souligné dans un précédent billet combien les choses étaient en train de changer pour les femmes dans la péninsule Arabique, le cas de ce pays de la façade occidentale du monde arabe n’est pas sans intérêt. Selon un jeune chercheur local interviewé dans Elaph (en arabe), elles représentaient, avant le coup d’Etat de 2008, 18 % des membres du Parlement (soit le chiffre actuel pour la France), et 33 % des élues locales.
« Fille » de cette émancipation menée depuis l’indépendance, Malouma n’en considère pas moins, comme d’autres observateurs, que la place occupée par les femmes dans la vie politique mauritanienne tient également aux traditions de ce pays où la femme occupe, depuis toujours, une place assez éloignée de celle que l’imaginaire français se fabrique des sociétés musulmanes, à grands coups de manipulations journalistiques.
Tenue à l’écart des ondes nationales, Malouma s’est vu confisquer en mai dernier, à la frontière mauritanienne, les CD qu’elle venait de faire presser au Sénégal. Il faut dire que ses nouvelles chansons se montraient fort critiques des autorités issues du dernier coup d’Etat en date… De quoi contredire les propos pessimistes que la chanteuse tient sur elle-même et sur le rôle de la chanson engagée dans une société désormais profondément irriguée par les médias modernes (y compris internet qui constitue un des éléments de contre-pouvoir, voir cet article sur le site Menassat (cet article parmi d’autres)
Vous trouverez ici une vidéo qui permet de se faire une bonne idée du “bleus à la mauritanienne”, et des extraits d’Al-Jazeera, en anglais (2’30) et en arabe (1’30, avec une très belle bande son). Des extraits, uniquement musicaux cette fois mais encore meilleurs à mon avis, en suivant ce lien. Je ne peux que vous recommander d’écouter les extraits de Nebine et Yarab, sublimes prières modernes à faire se damner Caroline Fourest et Philippe Val réunis ! (pour acheter le disque, auquel a participé Bojan Z, une référence tout de même, c’est ici).
Bonne écoute !