A las cinco de la tarde…
Le Printemps de Téhéran
La répression iranienne a débuté. Comme vous le savez, je me suis montré depuis le début très sceptique sur la pertinence de la révolte des partisans de Musavi et sur la couverture médiatique très favorable de l’événement. Premièrement, en effet, je ne dispose d’aucune information permettant d’affirmer avec certitude qu’Ahmadinejad est arrivé troisième de l’élection présidentielle. Imaginons que ce soit faux : vu d’Iran, l’attitude des médias occidentaux devrait conforter le pouvoir islamique que l’Europe et les Etats-Unis ne veulent pas d’un véritable dialogue avec Téhéran, voire soutiennent en sous-main les opposants au régime.
Deuxièmement, j’ai toujours craint que cette rébellion ne soit totalement contre-productive et ne déclenche un bain de sang qui, comme en Chine, retarderait de vingt ans l’évolution politique du pays. Israël laissera-t-il vingt ans à l’Iran ?
La crise du régime analysée au crible weberien
Désormais, le bras de fer est enclenché. Nous sommes passés d’une crise de régime à une crise DU régime. A partir du moment où l’ayatollah Khamenei a pris fait et cause pour Ahmadinejad, il s’est privé du rôle d’arbitre et de recours possible. D’ailleurs, le message des manifestants a changé : alors qu’au départ, la révolte était dirigée contre Mahmoud Ahmadinejad, et non la nature islamique du Régime, désormais la rue critique l’Ayatollah et reprend les slogans de 1979.
Car c’est une véritable refondation de la République Islamique d’Iran qui s’est engagée spontanément. Si je me réfère à la célèbre classification de Max Weber, qui répartit les autorités en trois types (charismatique, traditionnel et légal), l’Iran présente la particularité de cumuler les trois. Comme au Vatican, la légitimité est à la fois traditionnelle (l’autorité religieuse héritée de Dieu) et légale (recours à une élection) sauf qu’en Iran les deux processus s’additionnent et ne se confondent pas tout à fait : l’Ayatollah n’est pas élu véritablement par le peuple, c’est le Président qui l’est. La légitimité traditionnelle l’emporte sur la légitimité légale. L’Ayatollah est élu par l’assemblée des experts, eux mêmes élus par le peuple mais le Conseil des Gardiens filtre les candidatures qui de toutes manières ne peuvent venir que du Clergé. La légitimité charismatique est elle aussi présente car les gouvernants sont les refondateurs de 1979.
Les évènements actuels tendent donc à mettre en scène l’affaiblissement de l’aura de la révolution de 79 et la remise en cause même de la primauté de la légitimité traditionnelle. L’ayatollah Khamenei a choisi, face à cette menace, de recourir à la force.
On est dans un cas typique où la rigidité de l’autorité traditionnelle joue contre elle : Khamenei est prisonnier de sa propre jurisprudence. Autorité théologique et politique se confondant, il y a toujours la tentation de transposer une sorte d’infaillibilité pontificale à tous les domaines. Se déjuger en matière politique, c’est affaiblir également son autorité religieuse. D’où la force.
Weber, sur ce point encore, nous est d’un grand secours. Il définit deux types de domination : la domination rationnelle (par l’influence) et la domination par la coercition. Il note que le second type est plus fort que le premier, pourvu que la main qui tient le gourdin ne faiblisse pas. L’URSS, qui a tenu grâce aux purges des années 30, aux déportations des années 50, aux répressions de Hongrie et de Prague s’est fissurée à partir des années 80 lorsque le soviet suprême a hésité à écraser la révolte de Solidarnosc. Les chinois, en 1989, avaient bien retenu la leçon et ce fut le massacre de Tien-An-Men.
L’An II de la Révolution Iranienne
L’avenir de l’Iran, et sans doute du Proche-Orient, ne tient plus qu’à deux fils : est-ce que l’Ayatollah Khamenei osera aller jusqu’au bout, sachant qu’il sera balayé s’il ne tient pas les promesses vénéneuses de ses discours agressifs ? Après tout Téhéran vient de Tir-An : ça ne s’invente pas !
Deuxième interrogation : Le processus peut-il rebasculer vers la logique rationnelle, c’est à dire grâce à l’Assemblée des Experts aux Pasdaran, les Gardiens de la Révolution ? Eux seuls peuvent désavouer Khamenei. Les Gardiens de la Révolution, eux, ont annoncé qu’ils étaient prêts à recompter les voix par sondage.
Reste que si les Experts Pasdaran agissent, le Régime basculera aussi vers une moindre centralisation et personnalisation du pouvoir, un peu comme si la Curie l’emportait sur le Pape. Cette porte de sortie est sans doute la moins mauvaise et le simple fait d’exister est à mettre au crédit d’une République pas si rigide qu’on le prétend…
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