Pour ceux que cela intéresse, Marche romane vient de franchir le cap de son quatre centième article. Ce n’est pas rien, évidemment. Ce n’est pas rien mais cela nous amène, une fois de plus, à nous poser des questions sur la pertinence de tout cela. Qu’est-ce finalement qu’un blogue ? Que cherche-t-on en écrivant ici et que conviendrait-il d’y écrire ? Au-delà de la réflexion sur le phénomène blogue en lui-même, il importerait aussi de réfléchir sur le rapport entre l’écriture et le blogue. En d’autres termes, le fait d’avoir des lecteurs, de les sentir présents, conditionne-t-il le contenu et la manière d’écrire ?
Ce qui est amusant, c’est qu’alors que je me faisais ces réflexions et que j’en discutais même en privé, via la messagerie, avec une connaissance, voilà que Bertrand Redonnet, de son côté, nous propose justement sur son site un billet qui traite de ce thème. Je vous invite à le lire car il reprend exactement, en les développant subtilement, les réflexions que j’étais en train de me faire.
L’avantage, en tenant un blogue, c’est qu’on s’oblige à écrire car on sent inconsciemment que si on ne l’alimente pas régulièrement, il sera bientôt déserté par le public habituel, qui trouvera ailleurs une nourriture plus abondante. Et écrirais-je aussi ponctuellement si je n’avais pas l’opportunité de le faire ici ? Probablement pas, les occupations et les soucis de la vie quotidienne étant souvent un frein au travail d’écriture, lequel demande disponibilité et sérénité. Mais d’un autre côté, il ne faudrait pas que le public devienne un tyran qui conditionnerait mon acte d’écriture, soit en m’imposant indirectement un rythme à tenir, soit même en influençant la nature des billets présentés. J’ai su, il me semble, me préserver jusqu’à présent de ce travers.
Maintenant, le fait de pouvoir être lu est assurément un avantage dont on finirait par oublier qu’il constitue un privilège. Pour autant qu’on ne laisse pas au public le choix des thèmes traités mais qu’on continue à écouter sa petite musique intérieure, tout est parfait.
Le problème, c’est plutôt le temps. Or le temps, quand on est dans la vie active, est le bien le plus rare et le plus précieux. Et il n’y a pas que les articles à rédiger et les commentaires à surveiller, il y a aussi tous les autres sites à aller lire. Ce serait un peu égoïste de se réjouir de la présence des lecteurs et de ne pas leur rendre leur politesse en allant lire leur propre site s’ils en ont un. Des liens se créent souvent ainsi, par affinité et c’est très intéressant.
C’est intéressant sauf que quelquefois on a un peu l’impression d’être sur la place publique. On écrit à la craie sur un trottoir devant les badauds médusés, au milieu d’un brouhaha indescriptible, celui de la foule et de ses bavardages. Alors il y a inévitablement des jours où on se retrouve fatigué de tout ce vacarme, ce qui fait qu’on aspire à un peu de silence. Ces jours-là, la petite voix intérieure ne parvient plus à trouver son chemin dans la cacophonie générale. L’intelligence ne commande-t-elle pas une position de retrait qui n’est pas seulement protectrice mais aussi désir de se retrouver avec soi-même dans le silence ?
Quel est l’intérêt, finalement, d’écrire par exemple sur les livres qu’on a lus ? N’est-ce pas aussi participer au grand bavardage ambiant ? Certes, cela oblige à un esprit de synthèse et même, en écrivant ainsi un article, on approfondit le sujet traité et on découvre soi-même des choses qu’on n’avait pas vues, mais bon, au-delà de cela, quel avantage y trouve-t-on vraiment ? Est-ce un vain étalage de culture, un désir de partager ses connaissances ou une tentative de communiquer avec autrui ? Un peu des trois sans doute, mais n’est-ce pas là une démarche vaine ? N’est-ce pas contribuer à son tour au grand bavardage ambiant que je dénonçais plus haut ?
Ne ferait-on pas mieux, plutôt que de s’égarer dans cette voie, de se concentrer sur sa propre écriture, la vraie ? Car dans ces quatre cents articles, combien de textes littéraires, en fait ? Bien peu, vraiment bien peu. Déjà j’avais renoncé par le passé à toute une série d’articles disons d’actualité et je m’étais alors concentré sur des sujets plus littéraires. Mais parler de la littérature, ce n’est pas encore écrire (encore faudrait-il qu’on en soit capable, mais cela c’est une autre question dont nous ne débattrons pas ici).
Bien entendu, pour celui qui écrit et qui est publié (ce qu’on appelle donc classiquement un écrivain), le blogue devient une vitrine. Pour peu qu’il ne lui consacre pas trop de temps, c’est pour lui un moyen habile de faire connaître sa production et même, pourquoi pas, de lever pour le public un coin du voile sur l’art de la création, en proposant de temps à autre un extrait en cours de rédaction.
Vu l’évolution des techniques, il est clair qu’un homme de lettre se doit, de nos jours, de tenir un site ou un blogue, simplement pour favoriser sa visibilité dans cette jungle commerciale qu’est devenu le monde de l’édition.
Mais nous, hommes ordinaires qui n’avons rien écrit, pourquoi perdre notre temps à nous donner l’illusion d’avoir un public avant même que d’avoir écrit quoi que ce soit ? C’est un peu mettre la charrue avant les bœufs, non ? Ecrire suppose le recueillement et la solitude. On n’écrit pas dans l’immédiateté. Je ne pense pas, en disant cela, à l’inévitable travail de correction qui chez moi est souvent fort limité (preuve qu’il y a des choses à améliorer dans mon travail d’écriture lui-même) mais plutôt au recul nécessaire à toute activité de création. Avant de prendre la plume, il faut cerner son sujet, l’apprivoiser, ce qui peut demander quelques jours. Puis il faut laisser faire l’imagination, qui va, dans votre tête, échafauder un semblant d’histoire. Ce n’est qu’alors qu’on prend sa plume ou qu’on s’installe devant son ordinateur. Les mots alors viennent en principe relativement aisément, mais c’est parce qu’ils sont le fruit de tout ce qui précède.
Or, cette démarche qui prend du temps, ne trouve pas dans le blogue le terrain qui lui convient. Ici, tout doit aller vite et on finirait par préférer de simples billets sur des sujets divers, relativement faciles à rédiger, plutôt que de se pencher sur un réel travail de création.
En conclusion, j’ai bien peur que je n’aie fait que contribuer à amplifier la rumeur ambiante d’Internet par mes différentes notes. J’aspire à un peu de silence, de discrétion, de recueillement. Je reviens donc à l’idée que j’ai déjà exprimée autrefois ( à savoir laisser de côté tous les thèmes d’actualité et se concentrer exclusivement sur les sujets littéraires) mais pour la radicaliser. Autrement dit, ne plus déposer ici que des textes personnels, soit de fiction, soit de poésie, soit encore des considérations personnelles ou philosophiques, voire des souvenirs ou des rêveries, un peu comme on le ferait dans un journal intime (se posera alors le problème du rapport entre la sphère privée et la sphère publique, mais s’il s’agit de textes littéraires, ce qui est trop personnel sera de toute façon transformé par le processus de création et sera donc devenu complètement méconnaissable. En plus personne ne connaît ma vie, donc personne ne parviendra à distinguer ce qui est réel et ce qui est inventé)
Cela n’empêche pas de traiter de sujets existentiels ou même de réfléchir sur des phénomènes de société, mais plutôt que de le faire de manière disons intellectuelle, en développant point par point un raisonnement, on pourrait imaginer que cette réflexion s’inscrive dans un texte de fiction ou prenne la forme d’un journal personnel, ce qui, dans les deux cas, supposerait une approche plus littéraire.
Pour me résumer et exprimer tout cela plus simplement, je dirai que la tenue de ce blogue m’a apporté beaucoup, mais qu’il me semble maintenant que cela constitue une entrave à la rédaction de textes plus littéraires, que je n’ai que trop négligés (essentiellement par manque de temps).
L’avenir nous dira si je parviens à me tenir à ces nouvelles règles.