Du métal de la mort sur Gonzaï ? Pas de quoi s'affoler. Il n'est point question de divas à choucroutes permanentées, de mullets outranciers ou de satanisme de pacotille mais bel et bien d'amplis qui jouent jusqu'à 11 et (fait rarissime) avec bon goût.
Sunn O))) esquisse la préhistoire de ce que sera la musique en odorama d'Aldous Huxley version dark, une musique de sensations faisant travailler des sources inexploitées de notre lobe frontal. Pas de compromis. Pas de repère mélodique, juste un magma sonore tour à tour épuré et tortueux pour brouiller ton état émotionnel de base et te filer une bonne dose d'acouphènes. Live, cette musique est épuisante sans emboîter un seul pas de danse. Des gens font parfois des malaises ou te regardent éberlués comme des lapins en passe de se faire écraser par une voiture sans phare. Qu'on se le dise, Sunn O))) est une insulte vivante et intelligente aux limiteurs de son, à cette société qui aimerait gober son tube cathodique avec le silence aux alentours.
Prosaïquement parlant et pour ceux qui cherchent encore des disques dans des bacs, il y a de fortes chances de trouver le dernier en date, Monoliths & dimensions, dans le coin réservé au dark ambient ou black metal. Dans ma boutique mentale, fort peu pourvue de Cannibal Corpse, leur albums côtoient plutôt l'aspect pastoral des meilleurs productions d'ECM, la scène drone ricaine, les saxophones déjantés d'Akosh, les folies de John Zorn ou les boucles de Terry Riley...
Leurs concerts ont des allures de messe pour agnostiques mystiques où les gais lurons portent des robes de bure et lèvent les poings en guise de signe amical et de commentaire social.
Agharta, premier voyage de ce Monoliths & dimensions. Hommage à Miles, à son funk aussi boueux que l'Afrique noire sous des pluies torrentielles, à ses orgues qui glacent le sang. Pas de concomitance musicale si ce n'est celle d'un trip vers une terre inconnue, vers Agharta, monde souterrain abritant une civilisation construite autour d'un soleil interne à la croûte terrestre, un pendant sous-terrien à l'Atlantide de Platon.
Les fréquences dronatiques des guitares font vrombir le sol qui va probablement s'entredéchirer pour laisser place à un trou béant. Une voix s'installe. Une voix gutturale, qui s'avère inquiétante comme un monologue lynchien, toute droit sortie des Carpates, un death metal expressif loin des beugleries ineptes visant à un défouloir façon 666 trop souvent synonyme de 8,6.
Renseignements pris, c'est à Attila Csihar qu'appartient cette organe dont le prénom résume assez bien la tonalité de ses prestations. Il est rejoint par les arrangements atonaux d'Eyvind Kang, connu pour son travail avec John Zorn ou Marc Ribot, qui annonce que la traversée risque de rencontrer quelques turbulences. Les craquements de bois et les notes glaciales de piano expriment la mise à mal du navire, il va falloir se la jouer serré avant d'arriver en pays de cocagne. Finalement un Hydrophone annonce progressivement la fin d'un voyage éreintant.
Suit Big church aux allures messianiques. Entrelacs d'harmonies vocales dignes du grand Ligetï, dirigées avec une main de maître par la Persanne Jessika Kenney et de déchirements soniques où les feedbacks d'Oren Ambarchi et de l'inévitable Dylan Carlson viennent transpercer l'équilibre fragile des voix. Ponctuée par une cloche qui encadre les ébats, on assiste à une partouze sonore dans une cathédrale, à un anachronisme musical convoquant une liturgie qui ne déborde jamais vers la caricature moyenâgeuse.
Hunting and gathering s'impose dans la même veine, créant un sentiment d'un diptyque central, monolithique laissant les dimensions d'Agharta et Alice respectivement ouvrir et clore l'album.
Et c'est bel et bien cette Alice qui pourrait être à l'origine d'un schisme chez les fans de Sunn O))) où les plus dark métalleux pourront entrevoir une mélancolie insultante et déplacée au genre que Stephen O' Malley se plaît à bousculer.
Ici, un riff bluesy passé à la moulinette heavy pose un thème en mineur où les guitares vont peu à peu se faire plus discrètes pour enfin disparaître. Le fantôme de la Harpe d'Alice Coltrane prend le relais comme un enchantement tiré de Daphnis et Chlöe de Ravel. Une section de cuivres, composée notamment de Julian Priester qui a officié chez Sun Rä ou Coltrane (John cette fois-ci) charpente une musique impressionniste et contemplative faisant écho au Maiden Voyage d'Hancock.
Au bout du tunnel, un cor d'harmonie et une lumière d'espoir encore aveuglante. A la sortie, on voit le soleil et la vierge. Elle est noire évidemment.
Sunno ))) // Monoliths and dimensions // Southern
http://www.myspace.com/flightofthebehemoth