Les effets du développement technique sont souvent discutés : d’un côté, il améliore les conditions d’existence de l’homme ; de l’autre, il les dégrade. Les techniques médicales font reculer certaines maladies, mais d’autres techniques industrielles nuisent à l’environnement. Dans tous les cas, il semble intervenir d’une manière décisive sur la vie des hommes, quoique toujours de manière ambiguë : on parle tout à la fois d’un progrès en termes de confort et de liberté et d’une aliénation : les hommes semblent devenus prisonniers de leur bien-être et de leurs nouvelles manières de vivre.
Mais en quel sens ces modifications agissent-elles véritablement sur les hommes eux-mêmes ? Le sujet demande de s’interroger précisément sur la nature de l’impact du développement technique : faut-il parler d’une simple modification des conditions d’existence ou d’un effet beaucoup plus radical, concernant la nature de l’homme ? Les hommes changent-ils en changeant leur façon de vivre ? Et à quelle condition une différence est-elle une transformation ? Comment apprécier la différence entre l’essentiel et le superficiel, entre changement et métamorphose ?
La question suppose de s’entendre au préalable sur ce qui est essentiel à l’homme. Or, comment ce qui est essentiel pourrait-il être transformé ? S’il y a une « nature humaine », ne constitue-t-elle pas justement ce qui est invariable ? On peut néanmoins opposer une autre conception de la nature humaine : ne faut-il pas se méfier particulièrement des manières de vivre si l’on considère a contrario que la nature humaine est éminemment modifiable et sujette à transformations ? On pouvait enfin mettre en question l’idée d’un développement autonome des techniques. Ce sont les hommes les inventeurs du développement technique. Ils sont donc les agents de leur propre transformation. Ne réalisent-ils pas leur nature même par cet essor ? La question devient donc : l’homme est-il autre chose qu’un technicien ? L’homme est-il capable de maîtriser en conscience les transformations qu’il est capable de s’infliger à lui-même ?
On pouvait commencer par défendre l’idée d’une simple influence du développement technique sur l’homme. Platon critiquait par exemple l’invention de l’écriture, parce qu’elle fait des hommes des oublieux et des faux savants. On a ici l’exemple d’une différence introduite, qui n’est pas une transformation : car par nature tous les hommes ne sont pas savants. On pouvait évidemment évoquer toutes les formes d’amélioration du bien-être liées au développement technique : liberté par rapport au temps et à l’espace grâce aux transports et aux communications. Mais cela change-t-il l’aspiration fondamentale au bonheur ? Baudrillard montre que la multiplication des choses fait qu’elles s’interposent entre les hommes et nuisent à leur rapport : mais l’égoïsme et la méfiance ne sont-ils pas humains (Hobbes) ?
On pouvait ensuite soutenir l’idée d’une transformation, en contestant l’idée d’une nature humaine fixe et résistante, et en s’appuyant au contraire sur l’idée d’un matériel souple, évolutif, modifiable en fonction des circonstances. Le propre de l’homme, souvent pour son malheur, disait Rousseau, est d’être perfectible : il est donc particulièrement sensible, comme l’atteste son évolution, aux moeurs et aux modes qui encadrent son éducation. C’est la thèse du Discours sur les sciences et les arts : leur développement a corrompu les hommes. Ils vivaient robustes, libres et insouciants à l’état de nature, ils sont devenus faibles, malheureux et dépendants à force de s’attacher aux objets.
Mais ne sont-ils pas eux-mêmes à l’origine et donc responsables de cette double évolution ? Le développement technique n’est-il pas inhérent à la nature humaine, à son inventivité et à ses désirs infinis ? C’est la nature spécialisée de chacun qui commande, pour Platon par exemple, la division sociale du travail et le perfectionnement corrélatif des techniques. L’expansion technique et ses conséquences sont-elles donc des fatalités ? Il faut montrer alors que l’homme n’est pas seulement le jouet de ses désirs et qu’il y a en lui un principe rationnel capable de les maîtriser.
Corrigé du bac philo 2009 : série ES