« C’est drôle à présent c’est la mode d’accabler en tout les civils, c’est les puants, c’est les galeux, c’est eux les infects responsables, les lâches charognards de débâcle. C’est eux, c’est eux, c’est rien que leur pied. Qu’ils s’expliquent un peu ! qu’ils se disculpent ! Pourquoi ils ont eu peur comme ça ?… Pourquoi ils furent pas héroïque ?…
Faudrait peut-être d’abord s’entendre… Qui c’est qui doit défendre la France ? les civils ou les militaires ? Les tanks 20 tonnes ou les vieillards ? Les tordus, les gnières en bas âges, les lardons morveux, les prudents affectés spéciaux, ou les régiments mitrailleurs ? Ah ! C’est pas bien net dans les propos… On arrive pas à bien comprendre. Y a de la confusion, de l’équivoque, on dit pas toute la vérité…
Elle coûtait cher l’Armée Française, 400 milliards pour se sauver, 8 mois de belotes, un mois de déroute… Des impôts en n’en plus finir… Ils ont eu raison les civils de se tailler par tous les moyens. Ils ne voulaient pas mourir non plus. Ils avaient rien à faire en ligne qu’à encombrer les batailles, si bataille il y avait eu… C’était aux militaires d’y être, de ralentir l’envahisseur, de rester mourir là, sur place, la poitrine cambrée face aux Huns, et pas le derrière en escampette. Si ils avaient été moins vite, y aurait eu moins d’embouteillage. On peut comprendre ces choses-là sans passer par l’École de Guerre. L’Armée qui fuit c’est pas convenable, ça propage des vents de panique. De Meuse à Loire c’était qu’un pouet, une foire unanime. Qui qu’a fait la plus grosse diarrhée ? les civils ou les militaires ? C’est pas une raison de pavoiser, d’afficher des souverains mépris, Scipion merde-au-cul-s’en-va-juge ? C’est tout le monde qu’a été malade, malade de bidon, de la jactance, malade de la peur de mourir. Les partout monuments aux morts on fait beaucoup de tort à la guerre. Tout un pays devenu cabot, jocrisses-paysans, tartufes-tanks, qui voulait pas mourir en scène. Au flan oui ! pour reluire ? présent ! Exécuter ?… ! Maldonne !…
Toutes les danseuses qui ratent leurs danses prétendent que c’est leur tutu. Tous les militaires qui flageolent gueulent partout qu’ils sont trop trahis. C’est le coeur qui trahit là de même, c’est jamais que lui qui trahit l’homme. Ils voulaient bien tous jouer la pièce, passer sous les Arcs de Brandebourg, se faire porter dans les Triomphes, couper les bacchantes du vilain, mais pas crever pour la Nation. Ils la connaissent bien la Nation. C’est tout du fumier et consorts. C’est tout des ennemis personnels ! Pardon alors et l’après-guerre ? Qui va en jouir si ce n’est pas nous ? Les canailles démerdes ! Y a que les cons qui clabent ! L’après-guerre c’est le moment le meilleur ! Tout le monde veut en être ! Personne veut du sacrifice. Tout le monde veut du bénéfice. Nougat cent pour cent. Bien sûr y a eu des morts quand même ! des vraies victimes de l’imprudence. C’est rien à côté des millions, des absolus martyrs de l’autre, les calanchés du coeur nature, ceux de 14 à 18. Merde ! On peut dire qu’on les a eus ! Même les carcans de la foutue cerise qu’on peut regretter, honteux de tout, 800 000 qu’on en a butés. »
Louis-Ferdinand Céline, Les Beaux Draps, 1941.
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