Par Hong Kong Fou-Fou
Moi, quand j'entends le mot "poker", j'ai tout un tas d'images qui se bousculent dans la tête. Le Far-West, d'abord, avec des joueurs
au visage mal rasé et animé de tics nerveux, tenant d'une main leur cartes, l'autre main s'occupant des tâches subalternes, vider un verre de scotch, prendre une chique, peloter une entraîneuse,
éventuellement sortir le lourd Remington de son holster si la partie dégénère. Je revois des scènes du "Kid de Cincinatti" ou de "Maverick", des planches d'un album de Blueberry. Texas hold'em et
Texas hold-up. Ou bien je suis transporté dans des arrière-salles de bar où les joueurs portent des chaussures bi-tons, des costumes à rayures tennis, des balafres et des noms improbables (Johnny
Gueule d'Ange, Deadly Franky, Wally Gator...). Ambiance à la Chandler. Machine à écrire Underwood et "Chicago typewriter". Je me repasse mentalement la partie de "Arnaques, crimes et botanique",
titubant aux côtés du naïf Eddy, sortant KO d'un ring de boxe, non pas parce qu'il y a rencontré le poing d'un monolithe vivant mais parce qu'il s'est fait plumer. Je me téléporte aussi dans un
casino de la Riviera, où un agent secret en smoking, les nerfs forgés dans le même acier que sa Rolex Submariner, exerce ses talents de bluff aussi bien contre un adversaire machiavélique que
contre l'accorte créature qui l'accompagne. Martini, roulette et corde à piano. En bref, le poker était jusqu'à présent un jeu propice à enflammer mon imagination. Un jeu où, en matière de
paire, il ne fallait pas avoir que celle que l'on posait sur la table !
Aujourd'hui, on joue au poker en ligne. Et, du même coup, en pyjama. Ou en survêtement. Ou en tutu. Ou
habillé comme on veut, puisqu'on ne sort plus de chez soi. Pour certains, c'est devenu une activité à temps plein, une véritable addiction. On se lève le matin, on glisse ses pieds dans ses
pantoufles, on allume son ordinateur et on peut rejoindre une partie sur l'un des nombreux sites disponibles. Sans même avoir pris sa douche au préalable, sans même s'être brossé les dents.
Avant, c'était haleine de bourbon. Aujourd'hui, c'est haleine de bourbier. L'aspect psychologique du jeu a disparu, va-t-en bluffer un pixel, tiens. On peut certainement jouer via une webcam,
mais avec la cadence de rafraîchissement de l'image et la résolution faiblardes, pas facile de guetter les réactions de l'adversaire. Pas évident de savoir s'il transpire à grosses doutes parce
que sa clim' est HS ou parce qu'il vient de relancer de 2000 dollars avec seulement une paire de trois dans son jeu.
Bien sûr, et de plus en plus, les meilleurs de ces joueurs sur Internet délaissent leur tapis de souris pour
les vrais tapis de table de poker et vont affronter leurs congénères lors de tournois réels qui portent des noms aussi évocateurs que WPT, WSOP ou EPT. Les voilà qui débarquent, la casquette de
baseball fièrement vissée sur la tête, à l'effigie de leur équipe (oups pardon, de leur team. Faut sonner américain), le t-shirt constellé d'écussons publicitaires, le gobelet de Coca en carton à
portée de la main, isolés du monde extérieur par leurs lunettes de soleil et les écouteurs de leur lecteur MP3 (les geeks ne se mêlent pas aux gens). Ces nouveaux joueurs sont atiffés comme cet
as de pique qu'ils aimeraient tant avoir dans leur jeu. Big Mac, dollars et Jordan Air.
Le poker est partout, à la télé, dans les magazines. Comme si Patrick Bruel n'avait pas suffisamment
égratigné le mythe... Bientôt dans les Kinder Surprise, on trouvera des jetons de poker. Le jeu de poque, comme on disait en France au 18ème siècle, est devenu un jeu de plouc.